LES CAPRICES DE LA SARDINE
Chaque été, au début du XXème siècle, l'avant-port tout entier devenait une étrange forêt au léger feuillage bleu flottant à la brise. Les sardiniers armaient pour la pêche, hissant aux mâts leurs filets fraîchement teintés. Comme chaque année, se mêlait à l'effervescence des préparatifs la même angoisse : le poisson serait-il au rendez-vous ?
PECHEURS DE PERE EN FILS
On trouve trace de cette industrie sardinière à Concarneau dès le XVIIème siècle mais, à coup sûr, s'y pratiquait-elle déjà bien longtemps auparavant. Abondante dans la baie comme les merluches, juliennes et congres, la sardine était séchée ou fumée pour être consommée toute l'année. Vers 1650, une quarantaine de chaloupes hantent la baie de Concarneau pour approvisionner les quelques centaines d'habitants que compte la ville. Vivant quasiment en autarcie, la plupart des familles du pays voyaient avec soulagement revenir le printemps, annonciateur de la saison de pêche. Avantage non négligeable, ce poisson n'étant pas compté au nombre des « espèces royales », il était dispensé de taxes.
Au siècle suivant, cette industrie artisanale prend une nouvelle dimension. Le réseau routier s'améliore et surtout une nouvelle technique de conservation se répand : le pressage du poisson. Lavée et salée, la sardine est empilée dans des barriques perforées . On en extrait l'huile à l'aide de presses rudimentaires installées dans les cours. Ainsi traité, le poisson se conserve beaucoup plus longtemps et peut être expédié sans risque vers des villes éloignées.
Une grande partie de la clientèle est alors constituée des nombreux monastères et abbayes qui, surtout en temps de carême, consomment essentiellement du poisson. Des chasse-marée viennent aussi par mer en prélever une partie à destination de Nantes, La Rochelle et Bordeaux. Peu à peu, des « négociants » prennent en main ce commerce. A la fin du XVIIIème siècle, une vingtaine de presses fonctionnent à Concarneau, auxquelles il faut ajouter les quelques ateliers des maîtres de barques. De simple ressource vivrière, la sardine est devenue produit « manufacturé et exportable ». A la veille de la Révolution , le port compte près de 400 chaloupes armant pour cette pêche, à la belle saison. Le métier de pêcheur semble voué à un bel avenir et se transmet de père en fils.
ESSOR ET CRISES
Le blocus des côtes par les navires anglais, pendant le période révolutionnaire et l'Empire,va arrêter l'élan prometteur. Beaucoup de marins sont enrôlés sur les vaisseaux et les autres n'osent plus prendre la mer de peur d'être arraisonnés. Heureusement, au milieu du XIXème siècle, cette pêche va , à nouveau, prendre un essor inattendu. Venus des campagnes environnantes, des agriculteurs embarquent comme matelots sur les sardiniers concarnois, espérant y gagner mieux leur vie. Femmes et enfants trouvent aussi à se faire embaucher en ville. La cause de cet engouement soudain est l'apparition des premières conserveries. Peu à peu, les anciennes presses laissent la place aux « friteries » qui emploient un nombreux personnel.
De 1851 au début du XXème siècle, ces conserveries passeront de deux à trente-trois. Désormais mise en boîte, la sardine n'est plus une denrée périssable et peut voyager jusqu'à l'autre bout du monde. Le traitement de la sardine devient une véritable mono-industrie locale. En 1910, les bateaux sardiniers concarnois dépassent le nombre de 5OO. Certains usiniers comme Philippe et Canaud, Balestrié ou Palmer possèdent leur propre flottille. C'est l'âge d'or pour Concarneau dont la population, de ce fait, augmente très sensiblement.
Hélas, ce bouleversement n'ira pas sans de graves crises qui vont se succéder, réduisant à la misère les familles trop confiantes dans cette manne providentielle. Parfois pendant plusieurs années de suite, comme de 1880 à 1887, de 1902 à 1908, de 1911 à 1914, la sardine désertera la baie , privant les pêcheurs de tout revenu. D'autres fois, comme en 1878 ou en 1896, c'est la surabondance qui fera chuter le prix d'achat par les usines. Et puis, le coût de l'appât (la rogue de morue) qui ne cessera d'augmenter, obligeant les marins à en user avec parcimonie, l'apparition des bélugas destructeurs de filets, la concurrence étrangère servant de prétexte pour moins payer le poisson au débarquement…
NOUVELLES ORIENTATIONS ET TRADITION
Devant ces résultats aléatoires, nombre de pêcheurs se tournent, au début du XXème siècle, vers une activité plus régulière : la pêche au thon, d'abord dans le Golfe de Gascogne puis sur les côtes d'Afrique, plus tard dans l'Océan indien. Le chalutage, de son côté, deviendra la principale activité des bateaux concarnois, notamment à partir des années 1950.Après la seconde guerre mondiale, l'activité sardinière se réduit comme peau de chagrin, d'autant plus que les usines spécialisées dans cette conserve ont , les unes après les autres, fermé leurs portes par suite de concentration de capitaux et d'implantation dans des pays à main d'œuvre bon marché. La flottille concarnoise a dû se diversifier pour s'adapter aux marchés modernes .
Si la sardine n'est plus la principale richesse de Concarneau, une dizaine de bolincheurs y pratiquent toujours cette pêche et les étals spécialisés proposent comme jadis ce poisson mythique, tout frais débarqué.
Et pourquoi ne pas profiter de votre séjour pour faire provision de conserves de premier choix ? « Mouettes d'Arvor », l'unique sardinerie locale encore en activité, a heureusement gardé la tradition du travail artisanal bien fait. Preuve qu'à Concarneau la sardine n'a pas dit son dernier mot !