"Les grandes heures de l'ancienne mairie"
CONCARNEAU
La vieille mairie, reconstruite et rehaussée en 1853,
a fait la fierté des Concarnois pendant plus d'un siècle.
Cette vue a été prise en 1907, en attendant un visiteur de marque..
L'ancienne mairie va être mise en vente.
L'historien Michel Guéguen revient sur l'histoire de cet édifice
qui a marqué un siècle de vie concarnoise.
La mairie, la place de la mairie : deux termes qui devraient avoir disparu de notre vocabulaire depuis 22 ans au moins pour l'une, depuis 25 ans pour l'autre. C'est, en effet, en 1985 que la place devenait « du Général-de Gaulle » et trois ans après, François Mitterrand inaugurait le nouvel « Hôtel de Ville ». On aura beau faire, longtemps encore les deux appellations d'origine auront cours dans le vocabulaire concarnois, tout comme l'antique rue Soupe-à-l'eau ou la vénérable maternité de la Ville-close. Car notre mairie c'est toute une histoire, celle de notre ville, celle de nos vies.
Des notables peu motivés
Au XIVème siècle déjà, le chroniqueur Froissart donne à Concarneau le titre de ville de Conq. On y trouve une administration locale baptisée Assemblée des Bourgeois, présidée par un syndic qui prendra, plus tard, le titre de maire. Ces notables désignent, entre eux, des représentants qui se réunissent le dimanche, la messe finie, «en la chapelle du Rosaire (chapelle aujourd'hui intégrée au Musée de la Pêche), après avoir fait battre la campane (cloche) ». On y débat de frais de garnison, de tarif d'octroi, de crédits pour les feux de joie obligatoires lors des victoires de nos armées. Un miseur est chargé de veiller aux dépenses mais, vu les sommes dérisoires en caisse, les ambitions restent plus que modestes. De plus, très souvent et jusqu'au XVIIIème siècle, «l'assemblée n'étant pas en nombre suffisant», les délibérations ne peuvent avoir lieu.
Municipalité sans domicile fixe
En 1773, voulant s'affranchir du cadre religieux et disposer d'un local spécifique, l'assemblée municipale occupe, un temps, le logement inachevé prévu pour le gouverneur. Puis, la Révolution ayant saisi la maison «de l'émigré du Laurens», les notables y font transporter l'armoire d'archives restée à la chapelle du Rosaire et s'y établissent. Cela ne les empêche d'ailleurs pas de réintégrer la chapelle de temps à autre.
Depuis des siècles, Concarneau possédait une cour de justice ducale puis royale. C'était aussi le siège des justices seigneuriales des environs. Lors de la construction des halles du faubourg, en 1678 (à l'emplacement de l'ancienne école du centre ville), un auditoire avait donc été prévu en prolongement du bâtiment. Mais, en 1790, les halles ruinées, ont été rasées et la nouvelle organisation de la justice a rendu vacant l'ancien auditoire. Une aubaine pour les officiers municipaux qui vont en faire leur « Maison commune » qu'ils rebaptisent mairie.
La mairie jette l'ancre
Mai 1802 : la place située devant l'ancien auditoire devient « Place de la Mairie » où l'on se rassemble pour crier Vive la Convention ! Vive la Montagne ! et bientôt Vive Bonaparte et la paix ! Quant aux précieuses archives municipales, elles sont maintenant entreposées dans un réduit de la maison d'hospice qui tient lieu parfois aussi de salle du conseil.
Rénovée, la mairie comprend, en 1821, une salle de réunion, une autre pour les dossiers classés par le greffier-secrétaire, mais également, comme du temps de l'auditoire, une prison pour les hommes, une seconde réservée aux femmes et une pour les militaires, sans oublier l'appartement du geôlier ! Mais cette fois - et jusqu'en 1987 ! - la mairie concarnoise ne déménagera plus. En revanche, elle ne cessera de se transformer, de se rehausser, de s'agrandir pour abriter les fonctions les plus imprévues.
Un lieu incontournable
Avec l'application du Code Napoléon, l'état civil est devenu la grande affaire de la mairie. C'est ici que l'on vient déclarer naissances et décès mais aussi célébrer les mariages, conformément à la loi. D'année en année, les recours à l'administration municipale ne cessent de s'élargir. La mairie devient le vrai cœur civique de la ville.
En 1855, des halles modernes ont été bâties entre la mairie et la Place d'armes (Jean-Jaurès). Les jours de marché, toutes les fermières d'alentour y étalent leurs produits, débordant sur la place encombrée de chars à banc. On envisage maintenant de construire, à l'emplacement de l'ancienne cohue, une école communale. Elle ouvrira ses portes en 1871, à l'entrée de ce qui va devenir la rue Dumont d'Urville.
Depuis 1869, grâce à une dérogation permettant de dépasser exceptionnellement la hauteur maximum de 7,20 mètres imposée par les autorités militaires, la mairie elle-même a été entièrement reconstruite sur place. Les Concarnois ne sont pas peu fiers de ce bâtiment (à étage !) aux huit fenêtres symétriques à parements de granit, à la grande porte centrale ouvrant sur un perron majestueux et surmontée d'une baie propice aux discours. Sans oublier les armoiries de la ville, sculptées sur la façade et qui ajoutent à la solennité de l'ensemble. Devoir entrer à la mairie, ce n'est pas rien et ce n'est que le béret à la main que les pêcheurs osent y pénétrer pour leurs démarches.
Le centre du monde... concarnois
L'endroit est devenu le nœud vital de la vie locale. Bien des services vont rapidement y solliciter un espace. Le bureau du télégraphe qui déjà occupait gratuitement, depuis dix ans, plusieurs pièces, y est officiellement intégré dès l'ouverture du bâtiment neuf, en 1869. Encore dix ans et c'est la poste qui s'y adjoint, ses bureaux donnant sur la rue Dumont d'Urville. En 1879, les élus décident de réserver une pièce pour y créer le... musée de Concarneau ! Ils espèrent bénéficier de quelques tableaux offerts par le ministère mais la première œuvre enregistrée sera celle du peintre Deyrolle Le port de Concarneau. Un don certainement mieux adapté qu'une quelconque Mort de Brutus. Peu après, on y ouvre la bibliothèque municipale (qui sera plus tard tenue par le commissaire de police !) et on envisage d'y accueillir la Caisse d'épargne. Et puis viendront le poste de police, le bureau d'audiences du juge de paix...
Maison hantée
Que de souvenirs derrière ces murs aujourd'hui déclassés : séances de vaccinations, conseil de révision au 1er étage, mariage autour de la grande table au tapis vert, déclarations des naissances de la famille derrière le haut comptoir du bureau de l'état civil décoré du sinistre tableau représentant le dernier survivant du Vengeur sur son lit de mort, bureau du cadastre, perché au second étage, où l'on arrivait, à bout de souffle, parmi des amoncellements de plans et de dossiers... Et puis des fantômes qui ressurgissent : Baptiste Mélanson, François le Dréau, Victor Morieux, Jos Argouarc'h, Maurice Cottier, Arsène Guenneau, Annick Le Maou... Et encore ces drapeaux, ces banderoles flottant sur le perron pour montrer sa joie, pour crier sa colère.
C'est pour tout cela que notre vieille mairie
mérite bien d'être classée monument historique,
au cœur des Concarnois.