SommaireBienvenue | Concarneau GroupesProgrammation | ReinesRétrospectives | Passé


 

 

Quand Concarneau rêvait déjà de son casino

Un casino aux Sables-Blancs ?
L'idée a ressurgi avec le maire 2008.

D'autres y avaient pensé avant lui.
L'historien Michel Guéguen raconte.

À la fin du XIXème siècle, le boom économique lié à la multiplication des conserveries a changé le visage de Concarneau : population plus nombreuse, quartiers neufs, port en effervescence. À partir de 1890, un nouveau phénomène va à nouveau bouleverser le paysage et la vie locale : les bains de mer. Une mode réservée, à cette époque, à des gens aisés ayant seuls accès aux vacances, aux voyages, au superflu. Dans les stations en vogue comme Deauville, La Baule ou Dinard, on multiplie à l'intention de cette clientèle, les occasions d'étaler sa fortune : toilettes, hôtels de luxe, courses... Et casinos.

Concarneau restera longtemps étrangère à cette tendance, se contentant d'offrir aux villégiateurs ses plages encore naturelles, de bonnes tables et quelques villas sur la corniche, jusqu'au jour où...

Bain de mer

« Station balnéaire » en 1908

En 1884, le baron Loïc de Cambourg, propriétaire d'un vaste terrain face à l'actuelle plage de Cornouaille, y a fait construire trois villas dont la plus vaste est baptisée « Hôtel des Sables-Blancs ». Quelques années plus tard, il agrandit son domaine, rêvant d'y faire édifier un établissement beaucoup plus important. Le baron fait déjà partie des notables et se signale souvent par des dons destinés aux indigents. Il sera aussi au nombre des fondateurs de la fête des Filets-Bleus.

En 1908, Concarneau est officiellement classée « station balnéaire ». De Cambourg, qui veut attirer davantage d'estivants, expose un projet qu'il caresse depuis longtemps et pour lequel il a réservé 2 000 mètres dans son parc : créer un casino avec jeu de « petits-chevaux » !

Une loi récente prévoit, en effet, qu'une ville classée « station balnéaire » peut posséder un tel établissement. Le Conseil, qui y voit une source de revenus supplémentaire pour la commune, ne peut refuser cette faveur à son bienfaiteur et lui accorde pour 35 ans ce monopole « afin de pouvoir continuer à venir en aide aux pauvres et en cas de pénurie de pêche ». Une bonne oeuvre, en quelque sorte.

Pas de femme !

Le baron pourra donc installer une salle de théâtre, concert et danse, une salle de lecture avec bar américain ouvertes toute la saison balnéaire, ainsi qu'un cercle privé avec salles de jeux : petits-chevaux, baccarat, cartes... mais ce casino ayant officiellement pour but de «procurer aux baigneurs et à une certaine partie de la population une occasion de distractions», il sera tenu d'organiser au moins six représentations ou concerts par semaine ainsi que deux soirées dansantes et un bal pour enfants le jeudi après-midi.

Il va de soi qu'une loge spéciale sera réservée aux membres de la municipalité. Celle-ci pourra aussi disposer de la salle de spectacle quatre fois l'an pour des fêtes locales, patriotiques ou de bienfaisance. De plus, 10 % sur les entrées et les jeux seront prélevés par la commune afin d'améliorer le service d'eau.

Délicate attention : pour éviter aux gens peu fortunés de succomber à la tentation, seules seront admises «les personnes auxquelles leur situation peut permettre des distractions coûteuses, les classes aisées, les industriels, les commerçants.» Le Conseil craindrait-il le penchant immodéré des femmes pour le jeu ?

Le règlement prévoit, en effet, que l'on devra «refuser l'entrée du cercle aux dames (sauf) par tolérance aux dames mariées, sous la responsabilité de leur époux.» Mêmes réserves, d'ailleurs, à l'égard des officiers en uniforme qui risqueraient, sans doute, de déshonorer le drapeau en se commettant dans un tel lieu de perdition. Qui sait ce qui peut se passer dans ces cercles privés !

Le bruit ne court-il pas qu'on y fait parfois venir des filles de mauvaise vie ? Sur leurs gardes, les conseillers ont tenu à préciser noir sur blanc qu'ils feraient fermer ces jeux «s'ils devenaient causes de désordres ou de scandales.» Non, Concarneau ne deviendra pas la Sodome bretonne.

En 1911, alors que presque tous les accords sont assurés, Loïc de Cambourg souhaite maintenant réaliser son projet d'hôtel de luxe : 40 mètres de façade, 3 étages, 50 chambres avec «l'eau de la ville et la lumière électrique.» Deux ans plus tard, les travaux sont entrepris mais le casino n'en est plus qu'un supplément possible.

L'année suivante, le ciel s'assombrit. L'immeuble n'est pas encore habitable lorsque survient la mobilisation générale. La paix revenue, s'ouvrira le « Grand Hôtel de Cornouaille ». On y organisera bien des bals de société mais on ne parle plus de casino.


Au bord de la plage de Cornouaille, la villa nommée « Hôtel des Sables-Blancs »
où le baron Loïc de Cambourg rêvait de créer un casino

Deuxième tentative en 1987

En 1987, surprise : on apprend que Kernako, la grande demeure des Sables-Blancs, va reprendre vie sous l'impulsion d'un restaurateur concarnois qui compte bien y ouvrir... Un casino. Les capitaux sont trouvés, un chef croupier a été recruté. Cette fois, on y croit ferme.

Hélas, mauvaise surprise, on ne trouve plus trace du classement de la ville en « station balnéaire », la condition incontournable.

Faire une nouvelle demande ? Le traitement des ordures ménagères ne semble plus aux normes. Le soufflé retombe, adieu croupier, tables de jeux et martingale.

Et puis, 13 ans plus tard, le serpent de mer réapparaît. En 2000, alors que le plan d'aménagement de la zone des Sables-Blancs par la société Clipper est presque bouclé, la municipalité se réjouit. Les problèmes de salubrité ont été résolus, la ville va prochainement être déclarée « station balnéaire ».

On envisage aussitôt d'y prévoir... Un casino, comme à Bénodet où la commune récupère plus de 7 millions de francs par an sur les jeux. Catastrophe : rapidement Clipper laisse la place à Météor qui, elle-même, passe la main à Eiffage. D'études en esquisses, les bandits manchots disparaissent sans bruit.

Les fous de la roulette n'ont-ils plus d'espoir ? En attendant mieux, ils pourront toujours, au sortir du sauna, grâce au projet de thalasso des Sables-Blancs, placer leurs mises dans les machines à sous des baraques foraines. Par chance, les femmes y sont admises, même sans autorisation de leur mari !

Michel GUEGUEN.