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Des chevaux,
il y en avait beaucoup à l’époque . . .


Depuis 1905 ou presque, le cheval avait toujours figuré en bonne place aux Filets Bleus. Si Pauline Baccon, la première reine n’avait eu droit qu’à un très bref défilé à pied , celles qui lui succédèrent immédiatement trônèrent dans une barque tiré par un cheval. C’était le premier « char de la reine ».

Des chevaux, il y en avait beaucoup à l’époque, même en ville dans les usines où ils servaient à transporter les chargements de thons. A en croire les journaux d’époque, nombreux étaient aussi les accidents : voitures renversées, passants malmenés. On vit même un cheval fou tomber du haut du quai dans un bateau où l’équipage faisait la cotriade… Le cheval faisait parti du décor urbain de l’époque.


Vinrent les premiers camions et très vite les chevaux disparurent. La campagne, celle de Beuzec principalement, prit alors le relais. On était au temps de l’après guerre, les fêtes folkloriques prenaient un essor extraordinaire. Chacun voulu rivaliser.Le nouveau char de la reine fut tiré par six chevaux.


Dans chaque ferme ou presque on ressortit les vieux costumes, les tabliers de noces, les grandes coiffes empesées. Qui, à la campagne n’a connu cette époque où les jeunes cavaliers s’en allait tôt le matin par les chemins plein de rosée, quérir leurs « connaissances », qui ne se souvient de ces dizaines de chevaux parqués d’abord dans le « petit champ » puis dans l’Enclos de Servigny, en attendant sous la chaleur le défilé du soir.

Quelques années plus tard les chevaux de la reine n’étaient plus que quatre puis deux et il a fallut se résoudre à n’en avoir plus qu’un, peinant et suant tout au long du « Grand Chemin ». l’heure des chevaux avait passée et tous en étaient bien conscients, principalement à la campagne.

C’est pourquoi, en 1976, une nouvelle équipe de Beuzec décidait d’organiser une véritable « noce bretonne » pour marquer une dernière fois la participation spontanée de la campagne aux festivités concarnoises. Chacun savait pertinemment que d’année en année le nombre des convives irait en diminuant. En attendant il fallait retrouver les derniers des chevaux, qui à Beuzec, à Melgven, à Lanriec, Trégunc, voir même à Kernével, Nizon et Saint Evarzec.



Le dernier cheval concarnois, le fameux « japy », en retraite à la SPA se voyait même réquisitionné d’office. les chevaux repérés, commençaient de longues négociations avec les propriétaires. La bête était trop jeune, ou trop vieille, elle n’était pas ferrée, elle s’effrayerait à la première musique…« Surtout ne les mettez pas trop près des Paotred ! »

Les dernières hésitations s’envolaient quelques heures plus tard et il fallait alors organiser la collecte du samedi à l’aide de bétaillères, prévoir les circuits, les brides, les lieux d’hébergement. Chose curieuse, les chevaux savaient que l’heure était venue : tel cheval de Lanriec, « po du » pour le nommer, se mettait  ce jour-là à hennir dans sa vallée, jusqu’à ce que le cheval de Carbon lui réponde, depuis les versants de Trégunc et alors, lui, d’habitude solitaire, remontait de lui-même vers la barrière et se laissait mettre facilement la bride… les Filets Bleus étaient la fête des retrouvailles des chevaux !



Ceux-ci passaient la nuit, soit à Kerliane, soit à Keriolet dans les anciens haras ou encore à Kerampéru où se faisait le rassemblement général. En 1976, ils étaient donc vingt chevaux répartis dans ces trois fermes et le matin de la fête, leur travail terminé (car on travaille aussi les matins de fête à la campagne) les patrons se donnaient la main pour atteler les chars à banc. Les gestes, oubliés depuis vingt ans, revenaient naturellement : vérifier la bride, trouver le collier convenable, présenter la dossière, faire reculer la bête, attacher les traits, serrer la sous-ventrière …

Là aussi que de recherches patientes dans les greniers ou les "kardi leur" pour reconstituer des harnachements complets. Le vieux sellier de Penanguer avait dû reprendre du service pour vérifier le tout et refaire des coutures. Une sous-ventrière mal attachée et c'est le char à banc à la renverse avec tous les risques d'accident... les chars à banc avaient dû être révisés, démontés, grattés, vernis.

Du jour au lendemain, ces véhicules encombrants, démontés dans les greniers ou cachés sous la paille, avaient repris toute leur valeur. A tous ils redisaient le temps des anciennes fêtes, des grands pardons mais curieusement, pour les emmener à Kerampéru il avait fallu recourir aux... camions de la ville.

Le problème des chevaux, des harnais, des chars à banc réglés, restait celui des costumes. Une règle s'imposait à tous : pas de déguisés ! Car si à Concarneau certains se déguisent, le jour des Filets Bleus, à Beuzec on s'habille. Nuance de respect et d'authenticité. Le costume noir était de rigueur pour les hommes mais l'embarras venait des chapeaux : à croire que tous les "grands" ancêtres avaient de petites têtes ! Les femmes, comme tous les matins de fête, croulaient sous les problèmes : épingles de tête, accroc ou tablier, gants oubliés dans la voiture, lunettes à mettre ou ne pas mettre.

Tout le monde en place pour la "photo de noce" et le cortège s'ébranlait avec son retard habituel. Neuf chars à banc en 1976, seize l'année suivante et plus de cinquante participants. Beuzec tenait son pari. Deux ans après il n'était plus possible de sortir que quatre chars à banc. Plus d'une douzaine de chevaux avaient disparu. Evolution logique. Combien de paysans n'ont-ils pas avoués ; "Moi, mon cheval ne fait plus que deux choses dans l'année : buter les pommes de terre et aller aux Filets Bleus"...

En 1980 il reste trois chevaux de labour à Beuzec, un seul à Lanriec, quatre ou cinq à Trégunc. Ces bêtes ont pour la plupart vingt ou vingt cinq ans et très vite s'en iront à leur tour. On ne verra donc plus les paysans de Beuzec descendre le Grand-Chemin, il n'y aura plus de chars à banc dans les avenues. D'autres viendront qui préfèreront les chupen de couleur au strict habit noir de chez nous, qui ne mettront peut-être plus leur coiffe de la même façon... Le cheval guidait tout une façon de vivre qui n'est plus de raison.

Pendant longtemps les cavaliers auront maintenu une présence authentiquement populaire aux Filets Bleus, préférant se trouver sur la chaussée qu'en simple spectateurs.


Les chevaux s'en vont ...
Viennent d'autres fêtes...