Les deux commères concarnoises se retrouvent pour discuter du pont à Millot, du centenaire des Filets bleus et des non moins fameux rosiers du même nom, évoquant avec nostalgie la destruction programmée de la cheminée à Basset.
Phrasie : Aleur, vous êtes-là de retour ? Ousque vous êtes aller sercher le soleil, don, que vous êtes tout' noire comme un moricaud ?
Fine : Oh, asseyez-vous et ne tombez pas plus bas, que je vous raconte : voilà pas que l'aut' jour je vois mon homme qui restait tarlucher sur un timb' au lieu de le coller.
Ça au moins ça doit être joli à voir, qu'il me fait comme ça. Restez pas rêver avec, que je lui fais, lichez-le que je vais à la poste de Beuzec tout suite !
N'empêche que c'est un beau pont, qu'i m'dit. Millau, dans l'Aviron, qu'y a marqué dessus. Moi, j'irais bien jeter mon oeil dessus pour de vrai. Pas vous ?
Spontée que j'étais. Mon homme qui parlait de voyage ! Çui-là était liché ou alors sûrement que la puie était pas loin. Eh ben, vous allez pas me croire, le lendemain, nous voilà sur la route avec tous les zozos. Je me disais en moi-même : si tout ce monde là va voir son pont à Millot, sûr que çui-là est pas comme le not'. Et voilà que tout d'un coup, on l'a vu tout au bout de la route. Mââ, pièce de pont, sûr, qu'on aurait dit tout le Belem de lui. Sept mâts qu'il a, que j'ai comptés avec mon homme. Lui, i restait là, goasqué dessous comme un tacaud dans la vase, avec tous les aut' touriss à regarder en l'air, le bec ouvert, qu'on aurait dit qu'i z'attendaient le Bon Dieu !
Mais voilà pas Ugène qui vient me trouver : on est venu pour le voir tout, i faut aller dessus. Nous voilà partis avec les stops, les ronds points pires que chez nous, sauf que là-bas, i parlent pas Breiz. On a fini par trouver la route, mais vous savez pas le plus pire. Pour aller dessus, i fallait payer l'autoroute ! Beau leur dire qu'on allait que là, rien à faire. Payer pour aller sur un pont, jamais autant ! Du coup on a fait route Concarneau, de retour dès le lendemain. Mais j'ai dit à mon homme : vous qui connaissez bien le maire, allez pas avec vot' grande langue, lui causer de son pont à Millot, capab, ce serait de lui donner l'idée de nous le faire payer aussi pour passer sur celui de la Ville close, treus de nous.
Et autrement quoi de neuf avec vous ?
Phrasie : Bien, les Filets bleus, comme de juste.
Fine : Oh, moi, je vais tous les ans les voir, à cause de mes rosiers. Ce que je préfère, c'est les chevaux.
Phrasie : Je comprends pas rien avec vous.
Fine : Moi, je me comprends. Tous les ans, je vais avec ma seille sur le parking à Brigand, et quand le défilé est parti, je vais faire le tour et je ramasse tout le crottin qu'i z'ont laissé là. C'est pour ça que j'ai des rosiers que personne a des aussi beaux. Mes rosiers Filets bleus que je les appelle comme ça.
Phrasie : vous avez vu aussi qu'i en a qui veulent l'abbattre ?
Fine : Qui ça, la Reine des filets bleus ? Vous êtes pas bien, sûr, mignonne comme elle est !
Phrasie : Mais non, mauvaise langue, la cheminée à Basset que c'est. Ousque nous aut' on a travaillé dans le temps. Du goût on avait, qu'on chantait tout' la nuit « Etoile des neiges ». Mais on trimait aussi !
Fine : Et la contremaîtresse qui voulait nous faire étriper avec des gants. Rapports à l'hygiène qu'elle disait comme ça. Des gants pour travailler ! Pourquoi pas un chapeau pour faire grande madame ? C'est vrai qu'on sentait le poésson, que la Jeannette se frottait avec la Javel quand elle allait retrouver son blond. Des Chistrous ! Les garçons savaient bien qu'on travaillait dans la serdine, parment. Moi, i a que le dimanche que je mettais du sent-bon, pour cacher l'odeur, quand j'allais danser chez Guillamet. Les gars de Beuzec avaient pas besoin de savoir ousqu'on travaillait !
Abatt' not' cheminée que vous dites ? Cette fois là, i restera pu arien de not' jeunesse. I aura pus que nous comme monuments hystériques comme i disent.
Phrasie : en tous cas, moi, j'irai récupérer une brique, en souvenir. Ca fera joli sur ma cheminée, à côté de la photo de mon homme en marin. Des briques, i z'en ont assez gagnées sur not' misère. On peut bien en garder une vraie pour se rappeler, pas vrai ?
Fine : Tiens, et si on allait en vendre aux touristes, sur la place à Beaumanoir ? Ca au moins ce serait un souvenir authentique de notre Concarneau de dans le temps !