Issue
d'une des plus vieilles familles de Concarneau,
Maria était née en Ville-close à quelques mois
de la première fête des Filets-Bleus. Famille de marins
où les enfants poussaient leur premier cri entre sacs de filets
et les odeurs de tannin, où les femmes portaient la coiffe
d'artisane comme un titre de noblesse. Mais dans les foyers humbles
de la rue Saint-Guénolé ou de la rue Vauban, il fallait
au tôt se mettre au travail. A 14 ans, elle est déjà
employée chez un armateur de la Ville-close où elle
répare à longueur d'année les filets à
sardines déchirés par les marsouins et les bélugas.
Plus tard, elle alternera, ouvrière de conserverie l'été,
ramendeuse l'hiver lorsque poisson disparaît de nos côtes
pour de longs mois. La vie de la plupart des jeunes filles de l'époque,
en somme.
Du
Savoir-faire à la passion : Dans les années
1930, Maria propose au président des Filets-Bleus M. Moreau,
de confectionner pour la fête le fameux filet porte-bonheur.
Accord conclu. Avec deux autres amies, elles y passeront des heures,
des jours, des mois ; découper les grandes nappes bleues en
petits carrés réguliers, enfiler une vingtaines de minuscules
flotteurs de liège, y fixer le noeud de ruban bleu, l'épingle
de nourrice, sans oublier l'indispensable macaron découpé
dans le fer blanc semblable à celui des célèbres
boîtes des sardines. Même lorsque le soleil incite à
profiter de la plage, les trois coteries y emportent leur matériel,
levant à peine les yeux de temps à autre pour voir s'ébattre
dans l'eau les enfants en vacances.
Pas
de commande précise : la seule consigne était
: en faire le plus possible …et même un peu plus. Elles
réussiront ainsi à confectionner chacune jusqu'à
75 filets par jour. Parfois, la fille de Maria venait les aider, se
spécialisant dans la confection des noeuds ou le classement
par 25 des filets achevés, prêts à être
livrés aux vendeurs. L'agilité des mains n'empêchait
pas la bonne humeur et les « ventrées » de rires
dans cette mer de mailles bleues qui envahissait l'appartement.
Le
temps qui passe : Dans les années 60, le progrès,
l'évolution de la pêche, allaient compliquer la tâche
de Maria. Les pêcheurs de sardines se faisaient plus rares donc
moins de filets à récupérer, et surtout le nylon
remplaçait peu à peu le bon vieux coton souple et fin.
Il fallait maintenant aller jusqu'à l'Ile -Tudy voire Douarnenez
pour s'approvisionner. Maria s'était bientôt retrouvée
seule à assumer sa curieuse mission de couturière de
la mer. Absorbée par son travail, s'était-elle aperçu
qu'elle avait déjà plus de 80 ans ? Chaque année,
des milliers de pièces, toujours aussi irréprochables,
continuaient à sortir de son "atelier".
Ce n'est qu'à 83 ans qu'elle acceptera de poser enfin
sa navette et son aiguille ,
fière d'avoir tenu le flambeau
durant plus de cinquante ans.
S'il existait un filet d'honneur, elle l'aurait bien mérité.
Michel GUEGUEN