Alors que fleurissaient depuis longtemps déjà les stations balnéaires de Deauville, Dinard ou la Baule, l'extrême pointe de la Bretagne n'était encore, à la fin du XIXème siècle, qu'une contrée lointaine ne pouvant attirer que les amateurs d'exotisme et de coutumes d'un autre âge. Concarneau n'échappait pas à cette réputation. Seuls quelques voyageurs originaux et des artistes peintres avaient osé l'aventure, ramenant pourtant dans leurs bagages ou sur leurs toiles des témoignages enthousiastes et chaleureux de ce qu'ils avaient découvert là.

Dans les dernières années du XIXème siècle et au début du suivant, une grave crise de la pêche va jeter dans la misère toute la population maritime. Curieusement, c'est en grande partie cette catastrophe qui va contribuer à porter un autre regard sur ce pays de mer et de marins. En effet, collectes nationales, nombreuses expositions, articles de plusieurs hebdomadaires parisiens vont mettre en lumière la détresse mais aussi le charme de cette région et de ses habitants. Le véritable " coup d'envoi " sera sans doute cette fête de bienfaisance imaginée par un rentier parisien, propriétaire d'un hôtel à Concarneau : La " Fête des Filets Bleus ". Dès sa création, en 1905, c'est un succès :pour la première fois en Bretagne, les autochtones participent à une fête profane destinée à faire connaître leurs traditions et leurs coutumes. Quelques journalistes connus en parlent avec émerveillement : le nom de Concarneau sort de l'oubli. En peu de temps, il va devenir symbole de vacances à la portée de tous.

Retour sur le passé
Des premiers visiteurs, nous ne retiendront que le témoignage du plus illustre, Gustave Flaubert. Venu se reposer à Concarneau en septembre 1875, il étonne les marins du pays en se baignant quotidiennement sur les plages alentours, se régalant de homards. Charmés, il écrit à un ami : " On y a jamais froid. C'est un climat méridional, sans doute à cause du Gulf-stream qui chauffe le rivage. Les grenadiers et les camélias poussent en pleine terre comme aux îles Borromée et en octobre on porte encore les vêtements d'été. "

Concarneau ne possède à l'époque que trois modestes hôtels où l'on s'éclaire à la bougie et où l'on dîne à table commune comme dans les auberges d'antan. Quelques années plus tard, l'un des hôteliers à l'idée de faire construire, sur une plage, des cabines de bains…où l'on peut prendre ses ablutions (thalassothérapie d'avant-garde !) dans de grands baquets emplis d'eau de mer, en regardant les vagues à travers les portes claires-voies. Pas question, bien entendu, de se plonger dans l'océan ou de s'exposer au soleil. Le " Guide des bains de mer " fait pourtant déjà l'éloge de cette station, précisant : " La plage où se prennent les bains se compose d'un sable très fin recouvert de goémon. C'est une des plus sûres et plus agréables que l'on puisse rencontrer. "

Avec l'arrivée du train à Concarneau, en 1883, les estivants vont se faire de plus en plus nombreux. Modernité oblige, les hôtels ont désormais, chacun, fiacre ou char à banc qui viennent attendre les voyageurs à la sortie de la gare.

Quelques bourgeois du pays ont senti le vent venir et ont accaparé à qui mieux-mieux le front de mer, y construisant de vastes villas à louer avec ateliers pour artistes et chambres noires pour photographes amateurs. Concarneau est désormais ville de tourisme.

Les peintres, maintenant, débarquent par colonies entières, guidées par deux confrères concarnois. Derrière les chevalets installés tout au long des quais, on entend parler anglais aussi bien que suédois, voire américain ou russe. Voiles colorées des bateaux, va-et-vient des pêcheurs, élégances simple et touchante des ouvrières en coiffe, autant de motifs variés à l'infini. Les simples " baigneurs ", eux, excursionnent à pied ou en charrette, risquent une croisière jusqu'à Beg-Meil ou bavardent longuement sous une ombrelle, face à la mer, avant la partie de tennis ou de croquet.

Les Filets Bleus, point d'orgue des vacances
Avec les " congés payés " de 1936, Concarneau va devenir le rendez-vous attendu de milliers de vacanciers. Pensions de familles et camping se multiplient, à côté de standing. Sur les plages, où le bain ne fait plus peur, se retrouvent des visiteurs venus de toute la France. La plupart d'entre eux choisissent le mois d'août et, pour rien au monde, ne quitteraient Concarneau sans avoir assisté à la fête mascotte de toute la région :"Les Filets Bleus".

Aujourd'hui presque centenaire, la fête n'a rien perdu de son attrait ni de sa modernité. Chaque année, au mois d'août, la ville éclate de couleurs, de musiques et de danses, applaudie par une foule immense. Entourée de son cortège, la nouvelle reine perpétue le symbole. Comme à leurs premiers jours, les Filets Bleus montrent avec la même fierté la richesse et la vitalité des traditions de leur terroir. Invitant chaque année des groupes venus d'autres régions, la fête s'ouvre aussi à d'autres cultures. La meilleure façon, sans doute, de concevoir la mondialisation.