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Concarneau

Alors que les travaux s'achèvent sur la Tour du Gouverneur,
l'historien révèle quelques mystères entourant les remparts.

 

Dans quelques semaines, la Tour du Gouverneur va enfin abandonner son corset d'échafaudages pour réapparaître comme neuve après ce long lifting. C'est vrai qu'ils méritent bien quelque attention, nos vénérables remparts. Debout, les pieds dans l'eau depuis plus de 600 ans, on peut même s'étonner que certaines parties de la muraille aient encore si fière allure. Cette surprenante longévité serait-elle due à deux secrets de fabrication ?

Sous haute surveillance

Les progrès de l'artillerie ayant rendu caduques ces fortifications concarnoises que l'on disait imprenables, elles furent déclassées à la fin du XIX e siècle. En 1899, elles deviennent Monument historique. Dès lors, faute d'argent ou d'intérêt pour ces vieilles pierres, on se contenta des réparations les plus urgentes. Ce n'est qu'à partir de 1998, devant l'imminence d'un effondrement de la tour du Fer à Cheval qu'on commença vraiment à envisager des travaux de plus grande envergure.

Au cours des siècles passés, nos remparts avaient pourtant été l'objet d'une surveillance constante, freinée seulement par souci d'économie. Les ingénieurs du Roi veillaient régulièrement à faire « rempiéter » l'enceinte de la ville, combler les « affouillements » , reboucher les brèches par lesquelles « dans les hautes marées, l'eau passe et entre dans les caves et rues » . On avait beau faire, la mer réussissait toujours à arracher çà et là un moellon, risquant, à la longue, de fragiliser des pans entiers de murs.

Une recette inattendue

Depuis toujours, les pierres utilisées pour bâtir ou réparer ces remparts étaient extraites des rivages de Lanriec, à seulement quelques centaines de mètres de là. Un solide granit capable de résister aux plus fortes vagues et à l'usure du temps. Mais surtout, le mortier mis en oeuvre avait une curieuse particularité : composé de chaux et de sable, on y mêlait de petits fragments de briques et de tuiles pilées. Une formule que préconisait déjà... Marcus Vitruve, ingénieur architecte de César.

C'est d'ailleurs cette présence, par endroits, de brique rouge dans les joints de nos murailles qui fit parfois conclure un peu vite que les fortifications concarnoises dataient de l'occupation romaine. Simplement, l'usage de cet adjuvant, perpétué de siècle en siècle, s'avérait toujours inégalable. Lors des réfections ou modifications de la fortification, les officiers du Génie exigeaient toujours que soit utilisé ce « mortier romain » , surtout pour les parties en contact ou proches de la mer : « Les pierres de taille seront posées à mortier tierce de chaux vive avec les deux tiers de poussière de thuilleaux de Bordeaux bien cuite. »

Ce ciment hydraulique avait, en effet, l'avantage de durcir rapidement sous l'eau et de rendre étanche la construction. Par ailleurs, si on utilisait du sable de mer, il fallait prendre soin de le laver à l'eau douce pour éviter que le sel ne ronge les pierres voisines.

Et aujourd'hui ?

On pourrait penser que depuis la généralisation des ciments industriels, Portland et autres, les bâtisseurs d'aujourd'hui préfèrent se servir de ces produits nouveaux. Il n'en est rien.

Pas question, pour la récente restauration de la Tour du Gouverneur, de céder au modernisme : tous les joints des parties basses ont été refaits à l'ancienne et l'un des responsables du chantier nous déclarait : « Ne parlez surtout pas de ciment industriel pour cette restauration. Aucun ciment actuel ne peut rivaliser avec ce mortier romain pour ses qualités hydrofuges mais aussi parce qu'il laisse respirer les pierres. De plus, sur un sol meuble comme le sable, son élasticité évite des cassures qui entraîneraient des infiltrations. »

Voilà donc, à n'en pas douter, le premier secret de l'éternelle jeunesse de nos remparts.

Michel GUÉGUEN.



Une histoire de pierres et d'œufs

Un second mystère reste à élucider. Dans ses notes, publiées en 1795, l'administrateur du Finistère, Jacques Cambry, écrivait à propos des remparts de Concarneau : « On y remarque ce mastic inattaquable composé de granit pilé mêlé de chaux très vive et chaude à laquelle on mêlait parfois des blancs d'œufs. »

Il avait d'ailleurs constaté cette même composition au pied de l'ancienne machine à mâter de Brest, notant que ce mastic était si solide que la mer avait rongé les blocs de granit, laissant les joints seuls intacts, formant de grands carrés en réseaux. Cambry ne pratiquant pas le canular, aurait-il pris les fragments de coquillages parfois visibles dans le sable des joints pour des coquilles d'œufs ou cette affirmation était-elle fondée ?

Poule ou mouette ?

En 1905, le comte Lanjuinais ironisait sur ce point : « Les œufs ne devaient pas être chers à Concarneau s'il faut ajouter foi à la légende d'après laquelle le ciment de ces massives constructions aurait été lié avec des blancs d'œufs. Cela prouverait que les basses-cours de votre pays étaient bien garnies ! »

Comme beaucoup de Concarnois, nous penchions pour l'avis du spirituel comte... jusqu'à une récente émission télévisée consacrée à la basilique Sainte-Sophie de Constantinople, datant du IVème siècle. Un spécialiste affirmait, à ce sujet, que le mortier utilisé pour la coupole de cet édifice avait été fabriqué « à base d'œufs de mouettes » !

Du coup, le mystère ressurgit : la légende du blanc d'œufs n'en serait peut-être pas une ? Les œufs de nos mouettes valant bien ceux de l'Empire Ottoman. Cambry avait-il vu juste ? À l'approche de Pâques, peut-être un lecteur pourra-t-il nous éclairer définitivement sur cette énigme d'œufs litigieux ?