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JOSÉPHINE
DERNIÈRE GARDIENNE DE LA TRADITION
Voyant
passer la reine des Filets Bleus et ses demoiselles, le spectateur
pourrait penser que ces costumes concarnois font partie de ces
atours, signes d’un « Pays » voire d’une paroisse,
et dont la lente évolution remonte parfois au XVIIème siècle.
En fait, cette petite coiffe n’apparut à Concarneau que dans
le dernier quart de siècle passé, lorsque se développaient à
une vitesse fulgurante ce qui allait faire la richesse de la
région : les friteries de sardines.
Mobilisant la main d’œuvre féminine par centaine, cette industrie florissante attirait irrésistiblement épouses de marins et…filles de la campagne. De Beuzec, de Lanriec, de Trégunc et de Névez, elles venaient faire la saison dans les usines concarnoises(une trentaine au début de ce siècle) !
Mais bien vite, on dut adapter sa tenue à cette activité différente : coiffe à ailes et grand cols blancs tuyautés furent peu à peu abandonnés par les nouvelles citadines. Elles lui préféraient le petit bonnet de tulle ou de filets brodé qui fit surnommer ces renégats qui s’excluaient ainsi de leur clan, les « Penn sardin » (tête de sardines)
Dérivé de l’ancienne coiffe du Cap Sizun, ce bonnet avait déjà conquis, au des nouvelles implantations de friteries, Douarnenez et ses environs puis Audierne, Camaret, l’Ile Tudy avant de coloniser, avec d’infimes variantes, la population concarnoise. Adopté aussi par les ouvrières à domicile, couturières, commerçantes, ce nouveau couvre-chef, simple mais seyant, fut baptisé du nom générique de « coiffe d’artisane ». elle devint la marque de la ville, se distinguant ainsi de la giz fouen jalousement conservée par celles qui n’auraient accepté à aucun prix de jeter la coiffe de leurs ancêtre par dessus …les cheminées d’usines. ce qu’on appellerait aujourd’hui droit à la différence traçait ainsi une nouvelle frontière entre les gens de la mer et de la campagne.
Dans les années 50, la plus part des usines fermaient leurs
portes. Dans le même temps, le nombre de coiffes d’artisanes
diminuait rapidement, comme si celles-ci ne pouvaient survivre
à celles-là. En 1983, elles n’étaient plus que trois. Puis,
avec Adèle, Rosalie et Marie, disparut cette race éphémère des
penn-sardin…
A la campagne, la coiffe à ailes, à la mode de Fouesnant, portée
à Lanriec et à Beuzec, devait survivre plus longtemps. Il y
a quelques années encore, il n’était pas rare d’en rencontrer
sur le seuil d’un penty ou à la sortie de messe, telles que
les admirait déjà Flaubert à Concarneau : « Les
grands bonnets et les collerettes plissées donnent à ces femmes
un aspect monacal qui ne manque pas de charme ».
L’écrivain, aujourd’hui, les chercherait en vain. Dix ans après
les « artisanes », les giz-fouen si élégantes ont
disparu à leur tour, rangées pour toujours dans des armoires
devenues reliquaires de la mémoire. Disparues ?…
Pas encore !
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LA MEUNIÈRE PORTE-ÉTENDARD
Sur
le bord du Moros, au fond de la campagne lanriecoise,
une haute maison, à flanc de coteau : en contrebas , le
vieux moulin dont les aubes et les meules se sont tues depuis
longtemps : Le Hénan. C’est là que demeure celle qui peut
encore sourire : « Je suis la dernière mais jamais
je n’y renoncerai ! ». Dans très peu d’années, Joséphine
– Fine, pour ses proches – sera centenaire et depuis l’âge de
7 ans ( La fête des Filets Bleus voyait à peine le jour)
elle a toujours porté cette coiffe au ruban de satin et aux
ailes empesées qu’elle met un point d’honneur à épingler elle-même
chaque matin.
Que de souvenirs liés à cette coiffure ! : « Avec
Marie, ma sœur aînée, nous allions à l’école du bourg. Au moins
3 kilomètres en sabots de bois, même si
nous connaissions quelques raccourcis à travers champs ».
deux coiffes se hâtant, minuscules taches blanches longeant,
le soir, les talus aux formes inquiétantes. Lorsque l’orage
éclatait, la course éperdue, une main pour retenir le bonnet,
et l’arrivée au moulin où l’on suspendait les coiffes devant
l’âtre pour les sécher. Toutes les gamines portaient alors la
coiffe à l’école. la maîtresse exigeait cette tenue, sans doute
pour obliger les enfants à discipliner leurs cheveux. Mais pour
Joséphine et sa sœur c’eut été, de toute façon , déchoir que
de se montrer tête nue.
Le jeudi, lorsque le travail du moulin laissait quelques loisirs
aux deux fillettes, elles sautaient sans fin à la corde, suivant
la cadence régulière de la trémie. Mais gare à la maladroite
dont la corde frôlait trop près la tête : sa coiffe allait
rouler dans la boue, entraînant une sévère punition pour la
coupable.
La coiffe du dimanche ne sortait de l’armoire qu’avec mille
précautions : une coiffe brodée et spécialement empesée
par une parente repasseuse professionnelle. Dès le retour de
la messe, on devait se remettre « en tous les jours ».
les jours de pardon, on la gardait un peu plus longtemps, mais
interdiction d’approcher du manège : - Et
ta coiffe ! Dans quel état tu reviendrais ! La
vérité était qu’on avait pas trop d’argent à dépenser dans ces
tournoiements inutiles…
UNE COIFFE , UNE VIE.
Et
puis vint l’âge de la communion et ce plaisir de porter enfin
le costume à parement de velours dont on rêvait depuis si longtemps.
Fine se souvient aussi de ces longues expéditions au Passage-Lanriec,
quand elle accompagnait sa mère venue porter, comme chaque semaine,
la farine d’avoine chez Maï-Zan, la spécialiste de la bouillie
kerc’h pour tout le quartier.
Vint aussi le temps des escapades au bal, en cachette du curé
qui vous privait de communion le dimanche suivant s’il venait
à l’apprendre. Le temps aussi
des rendez-vous au pardon de Trégunc, d’où l’on revenait
un ruban neuf à la coiffe, offert par le « bon ami »
attitré…
Fine revoit encore ses équipés en char à banc jusqu'à Saint
Philibert ou Pont-Aven
lorsque, devenue à son tour meunière de Meil-Moros puis
du Hénan, elle transportait sacs de grains ou de farine. Que
de souvenirs là encore, comme cette folle équipée du cheval
emballé renversant sa carriole contre un talus et projetant
du même coup la meunière et sa coiffe au milieu des fougères.
Inséparable témoin de toute une vie, cette coiffe-là combien
sollicitèrent l’honneur de se faire photographier en sa compagnie ?
Car une fois à la retraite, Fine ne s’est pas privée de voyager,
arborant fièrement sa parure au grand col de Lourdes à Orléans
et de Paris à la Provence, déclenchant sur son passage l’admiration
des badauds.
Assise au coin de ce paysage où tient
toute sa vie, Fine ne se lasse pas de contempler. Cachée dans
cet écrin de verdure, à l’écart des routes elle est là pour
l’éternité, dernière prêtresse d’une mission sacrée.
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Longue vie, Fine
Gardez-là toujours cette coiffe
Car c’est un peu aussi notre drapeau sur lequel vous veillez.
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