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LES
PIERRES DE L’HISTOIRE . . .
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L’image reçue de Concarneau
comporte à tous coups le Beffroi. Il est tellement indispensable
qu’on l’imagine posé sur son éperon depuis maintenant des siècles.
Vues du dehors, la Ville-Close, elle-même, semble un seul bloc,
tout droit sorti du Moyen-Age. En fait le granit a cet avantage
qu’il unifie toutes les époques, prenant sous une même patine
l’œuvre des bâtisseurs des ducs, les travaux ordonnés par Vauban
ou les simples rajouts du Génie Militaire.
Les vieilles pierres, aujourd’hui, font recette.
Il n’est que de voir les milliers de touristes qui, chaque jour,
s’engouffrent dans la Ville-Close et se retrouvent dans un cul
de sac ! Quête de poésie, recherche d’un temps perdu ? ;
L’illusion ne dure pas. La foule attire la foule et, au royaume
des bazars, l’architecture perd tous ses droits.
Les Concarnois – les vrais – ne passent plus les ponts. Comme s’ils sentaient que, dans ce qui fut jadis le cœur de leur
cité, la vie est devenue factice et ne dure que deux mois. Les
racines, pour durer, ont besoin d’autres rythmes. Tout , pourtant
leur reste à découvrir : Le Petit-Château
qui, sous quelques mètres de terre, doit encore déceler
les traces du castel primitif, la Porte des Larrons, les salles
enfouies du Fer à Cheval ou celles, voûtées, de la tour de l’entrée,
la Maison du Gouverneur, le Trinité enfin, un des rares exemples
de Chapelle-Hôpital, telle qu’on les concevait il y a quatre ou
cinq siècles. Un patrimoine gît là, pratiquement inexploité, enseveli
sous des bâches de plastiques et les pacotilles passe-partout.
Pour avoir été trop longtemps présentée comme une image de marque,
la Ville-Close a fini par occulter d’autres jalons de l’histoire
concarnoise, disséminés dans les campagnes ou sur le bord des
grèves. Qui s’attarde aujourd’hui à ces étranges escaliers taillés
à même les rochers du Passage ? Le Bac y accostait jadis
et, dans les temps plus anciens, les condamnés à mort, avant d’être
menés à la potence… Plus haut, dans un bois de pins, le vieux
moulin à vent a retrouvé son toit. Longtemps il fut la marque
du pouvoir seigneurial, avant de devenir amer pour les bateaux.
C’était au début du siècle. Juste à la pointe
du Cabellou, un fort abandonné veille sur l’horizon. L’époque,
finalement, demeure encore proche où le danger venait d’abord
du large.
Tout
un pays, ici, s’accroche à son granit : longues dalles de
couverture de
fort, borne de corvée routière à l’entrée de Douric, croix sobrement
dressées sur le sommet des roches, gargouilles sculptées du clocher.
Peu à peu, sous les crépis acculés, transparaît la lente histoire
d’une paroisse, faite de pesanteurs, de traditions mais aussi
de besoins perpétuels d’innover. Surplombant Concarneau, Beuzec
garde des regrets de son ancienne suprématie. Au cœur même du
plateau ceinturé de manoirs, Lochrist ne maintient-il
pas, d’une certaine façon, le souvenir de ces colons romains qui,
il y a près de 2000 ans, implantèrent alentour leurs villas… Chemins
creux de campagne où les arbres forment voûte, fontaines de Keroter
ou Saint-Laurent, bâtiments de ferme aux portes ouvragées, les
témoignages subsistent d’une longue continuité.
L’agriculture fut riche ici mais toujours dépendit de la mer.
Et c’est dans le clocher qu’on a réinstallé le phare, pour guides
les bateaux revenant à Concarneau
L’état d’une société se mesurait jadis à la santé de son
église. A Beuzec, c’est dans le bois et le verre que
les paysans ont le mieux inscrit leur fierté, leur richesse. Les
vitraux reproduisent des modèles célèbres, de Rubens, de Poussin.
Le maître-autel, en ses panneaux, campe les hommes de la terre,
bragou bras, chapeau ronds, à la recherche de protections célestes.
Mais c’est sur le dossier des stalles et des colonnes de l’autel
de Sainte-Anne qu’éclate le mieux l’engagement d’une époque :
sur le premier, Combe et Zola se changent en monstres : fuyant
au long des colonnades, les diables sont tous devenus allemands
Témoin aussi d’un rêve fou comme d’une splendeur passée, Le
château de Kériolet tombe maintenant en ruines. Régulièrement
pourtant, reviennent des bruits, parlant de restauration. La propriété
est privée mais Concarneau conserve là une page originale et irremplaçable
de l’histoire architecturale du siècle dernier, une des meilleures
illustration du style dit : "Troubadour"
La qualité d’une ville s’acquiert par touches successives juxtaposées.
Le patrimoine est un ensemble qui accorde le nouveau et l’ancien, le beau et l’utile.
Avec la Ville-Close, Concarneau pourrait avoir une bonne carte de visite.
N’aurait-il pas, en plus, d’autres cartes à jouer ?…
Louis Pierre Le Maitre.
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