De mémoire de concarnois, jamais fête des Filets Bleus n'avais remporté semblable succès. Depuis plusieurs mois, la quarante-neuvième du nom était préparée avec un soin jaloux auquel lui donne droit son titre d'oeuvre des Filets Bleus. Ceux-ci, en effet ne sont pas une manifestation folklorique quelconque, ayant pour but , uniquement de de drainer vers la cité un courant financier. C'est avant tout une oeuvre de solidarité envers les marins pour laquelle Concarneau se serre les coudes, pavoise, se dévoue ... Le Docteur Dubois, ancien fondateur regretté de l'oeuvre des Filets Bleus, n'écrivait-il pas :
Passants heureux, songez au sort de la nacelle
Incertaine toujours du gain du lendemain,
L' "Œuvre des Filets Bleus" aujourd'hui tend la main,
Pour les jours malchanceux, videz votre escarcelle .
La fête des Filets Bleus bénéficie en outre d'une popularité exceptionnelle : elle est la doyenne des manifestations de ce genre et si 1954 a attiré un nombre considérable de visiteurs autour du site grandiose des remparts de la Ville Close, il est à gager que 1955, date de son cinquantenaire, verra doubler l'ampleur de la fête et l'afflux des spectateurs. Cette année l'affluence fut exceptionnelle et les milliers de compatriotes qui convergèrent depuis samedi soir vers le troisième port de pêche français, vécurent des heures inoubliables, aux sons, combien surprenants pour les étrangers à notre chère Bretagne, des binious, bombardes et tambourins.
De par sa haute tenue, la fête des Filets Bleus 1954 se devait, comme ses précédentes, d'être présidée par des personnalités éminentes. C'est ainsi qu'elle s'assura le patronage de MM le Vice-Amiral préfet maritime de la 2ème Région et le Préfet du Finistère ; et les présidences d'honneur de MM l'Administrateur de l'Inscription Maritime de Concarneau ; le Président de la Chambre de Commerce, l'Ingénieur des T.P.E de Concarneau ; Reeb député , le conseiller Général du Canton, et Charles Linement Maire de la Ville de Concarneau.
L'origine de la Fête des Filets Bleus - Lorsqu'il est donné la joie, d'assister à une Fête aussi grandiose qui, d'année en année multiplie ses Kervrenn, ses bagadoù et ses fastes, on est heureux de connaître l'origine de celle-ci. Eh bien, lors de la grande fête de la Nuit dont nous relaterons tout à l'heure le programme, M. Morvézen, de Concarneau, qui servait de speaker, la donna. " La fête des Filets Bleus, dit-il pris naissance parce qu'un groupe d'hommes, aimant les choses de la mer ou pas, mais amoureux des traditions bretonnes, a voulu faire resurgir avec un éclat incomparable, ce folklore qui leur berçait le coeur ". Dans ce groupe d'hommes, on rencontrait MM. Gaston Bonduellle, Pierre Roulland, le Docteur Dubois et le regretté Jules Le Flour. Ces bretons de coeur et d'âme avaient vu grand, confiants dans l'avenir de leur oeuvre. Ceux qui demeurent peuvent être fiers de la popularité de la Fête des Filets Bleus perpétuée chaque nouvel an par de bonnes volontés que guide le même souci.

La fête de nuit - Festival des folklores breton et basque. On ne pouvait espérer mieux comme préludes,aux grandes manifestations d'hier, que ce magnifique festival des folklores breton et basque, donné me site, riche de souvenirs, des fortifications de la Ville Close construites selon des plans de Vauban. Inédit était d'abord le sardinier lumineux qui dressait sa silhouette, à l'entrée même de celle-ci. Haut de plus de trois mètres, il a été réalisé par le maître souffleur Jean Rey, de la Maison concarnoise Néon-Bretagne, magnifique réalisation, elle rallia de multiple admirateurs. Confiée pour la sonorisation à M. Joannic, de Concarneau, et pour l'éclairage, à la Maison De Nève - Le Goc, la fête de nuit égréna par dessus les remparts et au delà de beffroi, les résonnances nostalgiques des coeurs Euskal-Billera de San Sébastien, les gavottes endiablées du Cercle celtique de Concarneau et les danses rapides et souples des célèbres danseurs professionnels de la Schola Cantorum del Coro.
Ce fut une belle soirée mais au sujet de laquelle, sans apporter une seule critique ni même un reproche, nous émettons une opinion : elle ne fut pas, à notre avis, sufisamment bretonne. Il est évident que le Cercle Celtique Ar rouedoù glas de Concarneau tenait à se réserver pour la grande kermesse, mais peut-être aurions nous pu admirer d'autres Kevrenn ?
De la participation des Basques espagnols nous ne pouvons que nous louer. Nous savions personnellement à quoi nous en tenir, puisqu'ayant vécu en Pays Basque, mais pour ce qui ignoraient ce qu'est le folklore basque, ce fut un enchantement. Il nous fut aussi permis d'applaudir chaleureusement : "Saint Michel d'Arretxinaga" danse qui s'exécute dans un petit village de Biscaye. Outre un rythme guerrier et païen, elle représente le triomphe de l'archange Saint Michel sur le diable. "Sagar Dantza", danse navarraise, élégante et fine, à la mélodie choisie. Elle représente la joie des paysans dansant autour de l'arbre dont ils attendent les fruits. Puis entre autres, la "Danse des épées" : "Makil Anndi" . Le choeur Euskal-Billera fit résonner les accents envoûteurs des chants basques.
On sait que les basques "naissent pratiquement en chantant". C'est dire le don et la valeur de leur voix. On a pu ainsi entendre : "Aurtxoa Seaskan", ou "l'enfant au berceau", berceuse comme son nom l'indique. La grand'mère berce le petit enfant et lui chante une douce mélodie qui est devenue très populaire hors du Pays Basque, et enfin, ne pouvant les citer toutes, elles furent bien exécutées : "Goizeko Izarra" ou l'étoile du berger. C'est un chant d'amour basque dont le thème est le suivant : l'étoile du Berger est très brillante et se voit avec netteté, mais mon aimée est encore plus rutilante et plus belle. Citons enfin le barde breton Ravallec, que tout le monde connait pour l'avoir écouté à la radio, et qui interprèta avec émotion la "Chanson des Filets Bleus" en autres chants prenants.

L'embrasement des remparts - A l'issue de cette splendide fête de nuit, la Reine des Filets Bleus, accompagnée de sa cour et escortée des danseurs et chanteurs basques, traversa la Ville Close afin d'assister à l'embrasement des remparts. Celui-ci fut réalisé avec éclat et les feux de bengales détachèrent singulièrement sur le ciel que ouatait une bruine persistante, le beffroi et son horloge retrouvée. Pendant la fête de nuit, en outre, pareils à des feux follets qu'eussent promenés les Korrigans si chers à Brocéliande, des petits bateaux décorés et illuminés évoluèrent dans le port. Cette soirée se termina par des danses sur les places publiques, donnant alors aux organisateurs, la certitude que la Fête des Filets Bleus 1954 s'était bien ouverte et que le lendemain, apothéose du jour tant attendu, serait un succès jamais atteint.
Le défilé s'est étiré sur plusieurs kilomètres - Ainsi que
le laissait prévoir les heures de la veille, la journée s'ouvrit magnifiquement par des salves d'artillerie qui secouèrent la ville de la torpeur où l'avait plongée les réjouissances du Petit Château en Ville Close. Les rues de la cité se remplirent rapidement et s'il n'y avait eu les gendarmes de la brigade de Concarneau et celles des environs, sous les ordres de l'adjudant Le Floch, de Concarneau, de même que les gardiens de la paix, sous la direction de M. Prat, commissaire de police, des embouteillages se seraient vite produits. On ne voyait plus que les têtes, et c'est tout juste si les kevrenn et bagad pouvaient se frayer un chemin. Cela nous fit penser un peu au personnage légendaire de Dubout, piétinant les épaules des baigneurs, pressés comme des sardines en boites, afin de chercher un peu de mer libre. A 10H30 retentirent les premiers airs de binious et bombardes des kevrenn et bagad qui venaient d'être reçus soit à la Gare, soit à la Douane. Peu après 12h30, la reine, Mlle Biguais et sa cour furent reçues à l'Hôtel de Ville par les autorités.
Le défilé s'égrenait aux cris de "Vive la Reine" - C'est avec un léger retard que Mlle Nicole Biguais et ses demoiselles d'honneur furent reçues à la mairie par les autorités. Mais, peu importait, car le temps semblait vouloir tourner au beau. Des cris de joie saluèrent l'arrivée du premier char, celui des sardinières qui prirent place à son bord. C'était des jeunes filles d'une école d'apprentissage de la région parisienne, qui tinrent leur rôle avec tant de naturel que nos visiteurs s'imaginaient applaudir de vraies concarnoises.
Peu à peu, le cortège s'organisait et ce fut devant de véritables haies humaines que les cavaliers bretons et le groupe des enfants s'avançaient. Par la suite, défilèrent par l'itinéraire prévu, les bagadoù Koat Serc'ho de Morlaix, les cercles celtiques de Douarnenez, Rostrenen et Elliant, le bagad de Bourbriac, les cercles celtiques de Bourbriac, Quimper et Pont Aven, le bagad de Ploërmel et les cercles celtiques de Josselin, Poullaouen et Pont l'Abbé, le bagad de Lorient, et les cercles celtiques de Plouedern et Quimperlé, le bagad de quimperlé et les cercles celtiques de Plougastel, Carhaix et Concarneau, le bagad de Brest ar Flamme, et enfin le char de la reine, follement acclamée.
Elle était vraiment charmante, Nicole Biguais, avec ses demoiselle d'honneur. De blanc vêtue, elle représentait admirablement la cité concarnoise. La précédant, entourée de ses deux demoiselles d'honneur, marchait elle aussi, la Reine de Cornouaille donnant une image éclatante de la jeunesse bretonne. Le cercle celtoque de Plougastel fut largement admiré pour son costume aux couleurs variées où se mariaient avec élégance le rouge et le vert. Le cercle celtique de Concarneau, plus sobre, mais très digne, remporta également de chaleureuses ovations pour sa tenue, et en tant que "maître de céans". A l'issue du défilé, qui a attiré une foule immense, avide d'un folklore mystérieux et riche en couleurs, le Petit Château en Ville Close fut le théâtre d'une grande kermesse pendant laquelle retentirent sans arrêt les accents des binious et des bombardes.

Mais, avant que la reine ne pénétrât dans sa bonne ville, M. Charles Linement, maire de Concarneau remit à la reine les clefs de la ville, dans un geste charmant. A l'intérieure de l'anceinte des fortifications, se déroulèrent les présentations de chaque cercle et bagad qui exécutèrent par la suite, chants et danses bretonnes. Les luttes bretonnes gardèrent de longs moments l'attention de tout ceux qui, malgré la foule, purent se frayer un passage en ville, avant que le défilé ne reprit par l'avenue du Docteur Nicolas, le boulevard Bougainville, la rue Dumont d'Urville et de la place de l'Hôtel de Ville. Une danse générale des cercles clôtura ce festival des folklores bretons et cette journée, qui, résonna des sons de centaines de binious.
La Marine Nationale se fait représenter - Comme chaque année la Marine Nationale n'a pas voulu laisser passer la fête des Filets Bleus sans se faire représenter avec la dignité due à son rang. C'est ainsi que, dans le port, se mira depuis vendredi soir, la silhouette de l'escorteur Carabinier et que dans le défilé... la kevrenn des Pompons Rouges de Lann-Bihoué cause autant de surprise qu'elle recueillit d'applaudissements.
On a guère l'habitude, en effet, de voir défiler des gars de la Marine Nationale bombardes aux lèvres. Leur présence fut le premier essai de l'oeuvre des Filets Bleus pour les intégrer dans le défilé. Dans le futur, Il est permis de croire que cette initiative concarnoise portera ses fruits, et qu'elle se transmettra dans toutes les manifestations folkloriques bretonnes.
Le grans bal de la reine - Il était normal que semblable journée, qui ne fut que danses, se terminât par un bal. C'est ainsi qu'après un après-midi ensoleillé, les visiteurs et les concarnois se rendirent à 21h00 sous la halles de vente à la criée au poisson pour prendre part au grand bal de la reine. Au cours d'un entr'acte qui cinda ce bal en deux, il fut procédé à un tirage des numéros des programmes de la fête. Des poupées costumées étaient l'enjeu de celle-ci. Le premier gagnant a eu la reine, tandis que les quatre suivants remportèrent les demoiselles d'honneur.
Lundi 23 Août 1954 - L. Daudin - Ouest-France