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le campanile


 

 


Au village des commises

LA DIGUE , CENTRE DU MONDE


Les cabanes des commises


Durant toute la première moitié du XX ème siècle, Concarneau disputait avec Douarnenez l'honneur d'être le premier port sardinier de France. Le lieu où régnait, l'été, la plus grande activité, véritable centre vital de Concarneau où se bousculaient pêcheurs, armateurs, ouvrières d'usines, enfants et curieux, était l'actuel môle du port de plaisance. C'est, en effet à cet endroit, que l'on nommait modestement « la digue », qu'accostaient les centaines de chaloupes venues débarquer leur pêche de sardines. De là aussi que s'égaillaient vers les usines les files de marins  abonnés (*) portant leurs paniers, lourds de la pêche du matin. Tableau aux images éphémères de kaléidoscope déclinant la mosaïque des bleus, des blancs et des noirs de cette foule mouvante et pressée. Et, montant de cette effervescence de ruche, les appels d'un bateau à l'autre, les rires des équipages, les raclements des sabots et des paniers sur les pavés, les lambeaux de dialogues qui s'entrecroisent, ponctués au loin par les sirènes des friteries appelant les ouvrières au travail. La digue, lieu favori des jeunes pêcheurs à la ligne que nous étions dans les années 50, nous semblait encore le centre du monde. De notre monde, en tout cas, où les adultes affairés nous acceptaient comme spectateurs privilégiés avec pour seul viatique une rustique « ligne à sinchards » enroulée sur un carré de liège. Nous aussi, après tout, faisions partie des cueilleurs de poissons.

DES MAITRESSES-FEMMES

Les sardiniers

Sur ce peuple de la digue régnait une caste à part, uniquement des femmes, les « commises d'usines ». Il en était d'ailleurs de même dans tous les ports sardiniers. Au début du XX ème siècle, on comptait autant de commises que de friteries, soit une trentaine pour Concarneau. Leur rôle consistait à obtenir pour leur usine le meilleur prix d'achat de la sardine. Dès qu'apparaissait à l'horizon la caravane des chaloupes ralliant le port, elles se massaient à l'extrémité de la digue, se bousculant pour avoir la meilleure place le long de la rambarde de fer, afin de pouvoir héler au passage les patrons des barques.

Par un accord officieux, les usiniers fixaient entre eux les prix d'achat du poisson mais si l'acheteuse pouvait conclure un marché plus avantageux, elle avait carte blanche. Selon le vent, l'approche des bateaux pouvait durer presque une heure, aussi chacune gardait dans la poche de son tablier un tricot en cours, auquel l'on travaillait fébrilement pour passer le temps. Parfois des disputes éclataient entre ces maîtresses-femmes. Le ton montait vite. L'air résonnait alors d'invectives les plus crues que les enfants-pêcheurs feignaient de ne pas entendre.

Lorsque les premiers bateaux étaient enfin à portée de voix, les offres d'achat fusaient du musoir : 4 francs chez Tertrais ! 4,50 chez Le Roy ! 5 francs chez Palmer ! Curieuse bourse en plein air où les enchères faisaient rage. D'un signe de la main, le patron de la chaloupe donnait son accord et le même scénario se renouvelait pour la barque suivante. Parfois, une enchère traîtresse emportait le lot : en plus du prix proposé, l'une des commises avait levé le doigt, signifiant : « j'offre, en plus, une bouteille de raide à l'équipage ! »
Avant même d'avoir touché terre, la flottille avait vendu sa pêche. Les acheteuses retournaient alors chacune à sa cabane.

LES CABANES DES ACHETEUSES

La digue

A la naissance de la digue et du quai Pénéroff, s'alignaient, dès 1875, une vingtaine de petites baraques de bois, à peine plus grandes que celles destinées aux baigneurs, sur les plages. Chaque usine avait la sienne, sorte de succursale où se réglaient les achats. C'est là que la commise réceptionnait le poisson acheté. Par paniers de 200 ou par caissettes, les marins livraient leur récolte et recevaient en échange des jetons indiquant la quantité reçue. Charrettes et camions venaient alors charger au plus vite le lot acquis, afin de le faire travailler sans attendre.

Curieusement, ces cabanes d'acheteuses étaient une exclusivité concarnoise que jalousaient les commises de Douarnenez ou de Quiberon. Nos ouvrières étaient-elles plus frileuses ou nos usiniers veillaient-ils davantage au confort de leur personnel ? Ce village pour grandes poupées ajoutait au pittoresque de ce quartier animé. C'est d'ailleurs à l'abri de ces cabanes que s'installaient de nombreux peintres à la recherche d'un point de vue original.

La diminution du nombre d'usines entraîna peu à peu celle des cabanes de la digue. En 1940, les troupes d'occupation les supprimèrent toutes. La paix revenue, elles réapparurent, mais en nombre restreint. La municipalité « tenant beaucoup à l'esthétique des environs du port » les jugeait « d'un effet désastreux ». En 1947, les Ponts et Chaussées n'en autorisaient plus que trois. Quelques années plus tard, les usines Roulland et de Servigny eu possédaient encore une ainsi que le Groupement des mareyeurs et la Chambre de commerce. La pêche à la sardine ayant considérablement diminué, on envisagea un moment de remplacer les antiques cabanes par « un bâtiment unique en matériaux légers ». Le projet n'eut pas de suite. Les sardiniers allaient désormais débarquer leur pêche dans l'arrière-port, laissant à l'avant-port une nouvelle vocation : la plaisance.

(*) Plusieurs usiniers avaient leurs propres bateaux. Leurs patrons ne pouvaient, naturellement, pas choisir leurs acheteurs. D'autres chaloupes s'engageaient, avant la campagne à réserver toute leur pêche à telle ou telle friterie.



Les cabanes des commises

Michel GUEGUEN