Fémina
15 Septembre 1906 - 6ème Année - N° 136

La fête des "Filets Bleus" à Concarneau

De Trégunc et de Pont-Aven, de Rosporden et de Concarneau, les sardinières, sous leur coiffe de dentelle, serrées dans le corselet broché, sont venues à la fête des "Filets Bleus". L'année dernière, le peintre si connu de la Bretagne, Legout Gérard avec l'aide d'artistes et de gens de lettres, créa cette fête, pour venir en aide, pendant l'hiver, à la misère des pêcheurs de sardines.

Et de cinq lieues à la ronde, Parisiens et Bretons accourent en hâte vers le port où les bateaux sardiniers dressent vers le ciel bleu de Bretagne leurs fines antennes où sèchent les filets, "les filets bleus" qui amassent dans leurs mailles serrées les poissons d'argent. Avec un tel organisateur, la fête fut ce qu'elle devait être, à la fois un succès au point de vue artistique et un succès aussi quant au résultat financier.

Cette kermesse, où l'élégance des toilettes parisiennes qui se disputait à l'archaïsme des habits muticolores de l'antique Armorique, avait un cadre inimitable : le pont hérissé de mâtures, les rivages boisés où les vieilles maisons semblent se hausser les unes sur les autres pour apercevoir la mer. Et dans les boutiques fleuries d'ajoncs et de genets, des vendeuses en guimpes de guipure offraient à l'empressement charitable des visiteurs, des colliers Louis XV avec le coeur d'or et la croix, des collerettes de nuances vives, bleue, rouges ou roses, des vieilles coiffes de paysannes en guipure, et aussi de petits filets larges à peine comme un mouchoir de batiste, avec leurs lièges et leurs grains de plomb. L'oeuvre de la dentelle est désormais inséparable de la fête des filets bleus, puisqu'elle aussi a pour but de procurer du travail aux ouvrières des fabriques pendant le chômage.

Cependant, au milieu de la foule, s'avancèrent des toilettes blanches, des coiffes cerclées de rubans, des fichus bleus ou noirs portant brodé un ostensoir rouge. C'étaient des jeunes filles qui, tout en tricotant des bas de couleurs voyantes, chantaient, accompagnées par le biniou. A coté d'elles un aimable trio de chanteurs de Montmartre amoureux de la Bretagne scandaient la marche et renforçaient les choeurs par leurs voix. Et ce fut une mélopée languissante, un peu trainante où tout le caractère du pays se retrouve dans ce décor pittoresque entre tous ...

Après, sur un signal la danse commence et c'est la "ridée" où les bretonnes excellent ; on a fait un cercle et autour d'elles, on les regarde, on les écoute. Quand elles eurent chanté, tricoté et dansé, l'aimable maire de Concarneau, M. Billette de Villeroche, emmena vers le buffet enguirlandé d'hortensias, de houx et de lierre, le cortège des jeunes filles entourées des gars en pantalons de toile blanche, portant une rame sur l'épaule. L'emblème de la fête fut tutélaire,et, dans cette journée parfaite, tout se passa dans le bleu des filets du ciel et de la mer.

La reine élue des sardinières, Mlle Marguerite Lanno, monta dans une barque décorée de feuillages et d'étoffes, accompagnée de ses demoiselles d'honneur.

Derrière elle suivait la flottille des pêcheurs, les voiles rouges au vent du soir, se criant de bord à bord : "La sardine est revenue ! Vivent les filets bleus !" M. Legout Gérard, dont l'amour pour les paysages de la Bretagne transparaît dans toutes ses toiles d'un charme si profond et si pénétrant, avait fait préparer pour le soir l'embrasement de Concarneau.

La ligne des remparts de la Ville-Close flamba, pendant que, sur la mer obscure, dansaient les yachts illuminés. En résumé, le succès fut complet de cette fête à la fois d'art et de bienfaisance qui va devenir traditionnelle ...

Espérons que la réussite de cette journée fera de plus en plus accourir vers les "Filets Bleus" les baigneuses et les touristes désireux de voir dans son décor la population féminine la plus affinée et la plus coquette de Bretagne.

Moranges