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« Le Monde Illustré »
50 ème Année - 8 Septembre - N° 2580
 

La Fête des Filets Bleus à Concarneau 

1906

Char de la reine

La petite ville de Concarneau est un des coins les plus pittoresques de cette Bretagne verdoyante qui s'étend de Quimperlé à l'Odet. La mer, dans le cours normal des choses, nourrit toute cette population côtière. A Concarneau seulement, 600 barques pèchent la sardine; de Groix, de l'île de Ré, des Sables d'Olonnes, elles apportent aux friteries le produit de leur pêche du grand large.

Dans les années heureuses, 35 usines occupent la plus grande part des habitants valides, les femmes et les filles préparant et mettant en boite le poisson capturé par les marins. Mais, depuis trois ans, la mauvaise chance s'acharne sur la région, presque sans répit. La sardine pour des raisons que les recherches des savants n'ont pu encore découvrir, a déserté la côte bretonne.

Chaque matin, dans la brume du crépuscule, les barques gagnent les parages des Iles Glénan, jadis fructueux. Mais la flottille revient, chaque midi, s'amarrer au môle, sans qu'aucun marin ne descende à terre, comme autrefois, pour présenter aux acheteuses d'Amieux, de Parker, etc., les paniers ronds remplis de poisson. Les visages sont graves et consternés. C'est que, dans les maisonnettes des faubourgs, où gîtent des familles de cinq, six, de huit enfants, la huche est vide. On vit depuis des semaines sur le crédit accordé par quelque voisin charitable. Et les boulangers, las de tempérer, menacent de fermer boutique, comme ils l'ont fait en 1903. La situation est aussi tendue, aussi lamentable, aussi tragique qu'alors, et on ne se le dissimule pas.

Char des sardinières

Aussi un groupe d'artistes et de baigneurs, hôtes habituels de Concarneau, a eu l'idée excellente de recommencer cette année la Fête des Filets Bleus, dont la recette avait été, l'an dernier, fort utile pour soulager les misères urgentes.

La réunion a eu lieu le dimanche 26 août, avec un très grand succès. Le comité était présidé par le peintre Le Goût Gérard dont tout Paris connaît les poétiques marines et les chatoyants marchés bretons, et qui a montré en cette circonstance des qualités d'organisateur tout à fait remarquables. Le Goût Gérard était assisté de quelques personnalités locales, telles que MM. Alfred Guillou et Théophile Deyrolle, deux artistes bretons bretonnant, M. le comte de Vincelles, M. Le Marié, etc.

Une grande kermesse s'est tenue, de 1h à 7 h, dans l'enceinte de la curieuse Ville Close, en un endroit ombragé, disposé à souhait pour ces sortes de mondanités. Plusieurs comptoirs étaient installés sur un monticule herbeux. Un vaste buffet, fort joliment garni de roses et d'hortensias bleus, était tenu par Mmes Charbonnier de la Bédollière, vice présidente des femmes de France. Madame Le Goût Gérard, qui secondait avec beaucoup de grâce l'intelligente initiative de son mari, Charles-Henry Hirch, Caillet et Warenhorst. Non loin de là, Mlles Dupont, de Malherbe et Le prévost, vendaient au bénéfice des pêcheurs, de minuscules filets bleus confectionnés de leurs mains.

Char des chanteuses

Une élégante baraque, toute parée de fleurs et de feuillage débitait du tabac, des bonbons et des bibelots divers. Ici, les honneurs étaient fait avec une amabilité irrésistible par Mme et Mlle Morel, Mmes de Kerguvelen, Grivart de Kerstrat, et de Malherbe.

Vers trois heures, la fête battait son plein. Le spectacle était alors féerique. Un concours de costumes, anciens et modernes, ayant été annoncé, un très grand nombre de concurrente s'étaient présentée, les uns revêtus des somptueux costumes des ancêtres, chargés de broderies, de paillettes et de dentelles, les autres portant des vêtures modernes, moins riches, moine éclatantes, mais de formes, le plus souvent, plus harmonieuses.

Un soleil radieux jetait une lumière resplendissante sur cette débauche de couleurs. Un antique bâtiment au pied des remparts donnait asile à une exposition de dentelles bretonnes. L'industrie est nouvelle dans le pays où elle a été introduite par quelques dames philanthropes; émues par le dénuement des pêcheurs. Mme Le Marié, directrice du mouvement dentellier, à Concarneau, et Mlle de Lonlay, fondatrice d'un atelier au bourg de Lanriec, présentaient de magnifiques broderies sur tulle ; Mme La Caze de Kerguvelen exposait des guipures d'Irlande, œuvre également des filles des pêcheurs.

Elles jouèrent, dans cette réunion mondaine, un rôle inédit et charmant, les sympathiques travailleuses des usines. Le comité eut la très heureuse idée de les faire figurer chantant revêtues de leur costume de travail, tenant aux doigts le tricot de laine, dans l'attitude qui leur est familière lorsqu'elles attendent devant la mer le retour des marins. Elles chantèrent, d'une voix très juste, très habilement conduite, une exquise romance de circonstance du, poème et musique, à la collaboration de trois artistes montmartrois très connus à Concarneau, à Beg-Meil et à Pont-Aven. Une acclamation enthousiaste salua cette incantation originale, belle de la grandeur âpre des œuvres d'art populaires.

On dansa longuement et gaiement en plein air, au son du biniou et de la bombarde. Bretons et Bretonnes, aux merveilleux costumes, montrèrent aux citadins ébahie les pas du bal et de la gavotte, où survit la grâce simple des festivités rurales d'autrefois. Le jury, chargé de classer ces entrechats, fut pris dans un cruel embarras et se résigna, comme tous les jurys, à créer quelques mécontentements. Le soleil était bas, déjà, sur l'horizon, lorsqu'un cénacle de dirigeants choisit, parmi les sardinières, une reine en souvenir des Reines de Carnaval - dont la gloire fut moins éphémère.


Alors on procéda au défilé qui clôturait la Fête de jour
et le spectacle d'ensemble de tant de curiosités
fut vraiment un régal pour les yeux.

Gaston Sévrette

Ronde des sardinières