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CONCARNEAU


La grande grève des ouvriers du bâtiment
en 1929

L'ascension de Pierre Guéguin

En ce début d'année 1929, beaucoup de Concarnois ont encore en mémoire les grèves déclenchées juste vingt ans auparavant par les soudeurs, révoltés contre les usiniers. Ceux-ci n'avaient-ils pas décidé de les remplacer par des machines à sertir ? Bravant les gardes mobiles, les ouvriers avaient saccagé les machines déjà en place. Hélas, le mouvement avait fait long feu et la mécanisation s'était imposée.

Une municipalité soumise aux patrons - Vingt ans après, la colère enfle à nouveau, d'usine en atelier. Cette fois, elle prendra des proportions d'une autre envergure, touchant la presque totalité de la population et démontrant l'efficacité d'une action syndicale bien menée.

Réélu maire depuis 1919, Jacques Toiray se dit apolitique, indépendant et surtout désireux de bien gérer « sa » ville. Beaucoup de Concarnois, d'ailleurs, le voient comme un homme riche, certes, mais honnête et plutôt républicain. Il n'en va pas de même vis-à-vis de ses adjoints : le docteur Henri Dubois est très conservateur, mais, surtout, l'usinier Le Roy et l'entrepreneur Guilbaud sont considérés par les militants de gauche, l'un comme «ennemi déclaré de l'école laïque», l'autre comme «clérical convaincu» et «patron intransigeant et exploiteur».

250 ouvriers du bâtiment - En quelques années, le clivage entre population ouvrière et patronat n'a cessé de se dégrader. Si pêcheurs et ouvrières semblent peu combatifs, il n'en est pas de même dans le bâtiment qui compte alors près de 250 ouvriers. Il est vrai que depuis quelques années, les réunions publiques se multiplient, organisées par des leaders politiques ou syndicaux de la CGTU, comme Le Signor ou Tillon, qui appellent ouvriers et marins à la révolte contre patrons et usiniers et les salaires de misère. Malgré les affirmations du commissaire de police qui, dans ses comptes rendus au préfet, assure que l'assistance est faible et les orateurs inefficaces, la salle de Venise fait souvent le plein, surtout depuis l'arrivée à Concarneau, en 1926, du professeur de l'école primaire supérieure (EPS), Pierre Guéguin.


Membre du parti communiste, celui-ci n'a qu'un but : défendre les travailleurs en dénonçant les injustices dont ils sont victimes. D'un grand dévouement et à l'écoute des plus humbles, c'est aussi un excellent pédagogue dont le langage simple et ferme à la fois sait convaincre l'auditoire. Les ouvriers qui, jusqu'alors, hésitaient à affronter leurs patrons, sentent qu'ils ont désormais un défenseur qui ne se laissera pas bercer de belles promesses.

Les gendarmes chargent - L'année 1929 vient à peine de commencer que, le 2 janvier, la grève éclate sur les chantiers Guilbaud, Bergé et Bonduelle. Quelques jours avant Noël, des délégués syndicaux CGTU, conduits par le menuisier Joseph Le Coze, ont tenté d'obtenir une petite augmentation pour les salariés. Comment un manoeuvre, père de famille, pouvait-il vivre avec moins de 2 francs de l'heure, ou même un charpentier avec seulement 3 francs, ou un maçon qui ne touche que 25 centimes de plus ? Le commissaire de police, lui-même, reconnaissait «les salaires de certains ouvriers sont certainement au-dessous des besoins d'un père de famille». Les patrons ont fait la sourde oreille.

grève du bâtiment à Concarneau

Drapeau rouge en tête, un cortège se forme. L'Internationale résonne dans les rues, applaudie par une majorité de la population. Après un temps d'hésitation, le maire met la salle des halles à la disposition des manifestants.

Pendant une semaine, le même scénario se reproduit malgré la présence de 15 gendarmes envoyés par la préfecture. Mais, le 10 janvier, le drame éclate. Il est 15 h. Au sortir d'une nouvelle réunion, près de 2 000 personnes sont regroupées place de la mairie. Malgré l'interdiction, grévistes et sympathisants décident d'organiser un cortège. Il y a maintenant une trentaine de gardes mobiles sur place. Furieux, le commissaire lance trois sommations, sans effet. Il ordonne alors aux gendarmes de charger, au trot, sabre au clair. Scandalisée de cette brutalité, la foule recule en désordre. Des pierres volent, deux femmes lancent des chaises dans les pattes des chevaux, les faisant trébucher. Plusieurs personnes sont arrêtées. Toute la ville est en émoi.

Victoire des ouvriers - Le lendemain, le commissaire accepte les défilés, à condition qu'ils soient encadrés par les gardes mobiles. Pendant une quinzaine de jours, Concarneau vivra au rythme de la grève, des cris de plus en plus hostiles et des chants révolutionnaires. Devant l'obstination des patrons, la tension monte, la colère gagne du terrain. La situation de certaines familles est devenue dramatique. Le maire tente, en vain, une médiation et fait distribuer des vivres.

Début février, les dirigeants du mouvement défient les forces de l'ordre en scindant le défilé en quatre groupes qui se partagent les quartiers de la ville, désorganisant les cavaliers. Devant l'ampleur de la manifestation, près de 1 000 personnes, de nouveaux renforts de police arrivent. Ils sont maintenant 125, logés dans les usines et dans la salle du Pavillon. Le 4 février, le préfet descend à Concarneau et réunit patrons et délégués syndicaux. Enfin, après des discussions mouvementées, le patronat finit par céder pour une augmentation horaire de 40 centimes et une «indemnité de panier» lors de chantiers hors de la ville !

Après cinq semaines de conflit, les ouvriers pouvaient enfin fêter leur victoire. De nouvelles grèves éclateront en avril, encore plus suivies. 1929 marquera ainsi le renforcement du syndicalisme, avec 300 adhésions nouvelles, et du Parti communiste qui présentera avec succès, aux élections municipales, le candidat Pierre Guéguin, élu ainsi que Joseph Le Coze. En 1939, Pierre Guéguin deviendra maire de Concarneau.

Michel GUEGUEN