L'historien concarnois Michel Guéguen raconte les coulisses de la création de la statue de Jeanne d'Arc, érigée en bordure de la route menant à Beuzec. La fin du XIX e et le début du XX e siècles voient s'ébranler les fondements d'une société encore basée, surtout en Bretagne, sur l'influence prépondérante de l'Église. Les passions s'exacerbent.
L'école, la loi sur les congrégations, puis celle déclarant la séparation de l'Église et de l'État (1905) vont enflammer les esprits. De véritables émeutes viennent apporter un soutien aux religieuses expulsées et aux églises « municipalisées ». À Beuzec, la population confie depuis un demi-siècle les destinées de la commune au clan de laïques modérés, les Le Crâne. Les quartiers de la gare et du Lin, essentiellement ouvriers, boudent encore davantage les offices du dimanche.
Ramener dans le droit chemin - En 1909, nommé depuis peu recteur de la paroisse, l'abbé Jean Le Du décide de frapper un grand coup. C'est un prêtre qui a pas mal bourlingué et a l'art de convaincre son auditoire. À ses yeux, ces « écoles du Diable », ces laïques sectaires sont en train d'entraîner les belles âmes beuzecoises à leur perdition. Il faut réagir, créer un événement qui ramènera au droit chemin les brebis égarées. L'idée jaillit : Jeanne d'Arc ! C'est elle qui sauvera Beuzec !
Depuis des mois, la presse cléricale fait ses gros titres sur la prochaine béatification de la Bergère. L'abbé Le Du imagine donc de dresser sur la commune une statue de l'héroïne. Le patron de Kerambriec a bien voulu lui céder quelques mètres carrés de terre le long de la route menant à Concarneau et le sculpteur quimpérois Jean Le Dréau s'est mis au travail pour réaliser, dans un bloc de granit noir de Kersanton, une Jeanne plus vraie que nature et d'une taille respectable.
Grandiose cérémonie - Un autre tailleur a préparé un socle rappelant les tourelles du proche château de Keriolet. Le 29 août 1909, a lieu la bénédiction officielle par un haut prélat venu d'Haïti. Grand-messe, procession interminable, foule de plusieurs milliers de fidèles et de curieux, tous se rassemblent au pied de la statue couverte de fleurs. Les enfants d'une colonie de vacances miment une « vie de Jeanne d'Arc » avec accompagnement de choeur sur une musique de Gounod. Spectacle émouvant. Mais le but n'est pas vraiment là et la cérémonie se termine par l'Hymne à l'Étendard entonné à pleine voix et la vibrante harangue du prédicateur. Peine perdue. Aux élections législatives suivantes, c'est encore un « radical » qui gagne à Beuzec.
Depuis cent ans, la pauvre Jeanne,
oubliée de tous ou presque continue, en vain,
d'implorer ses « voix » du haut de son piédestal de granit.
Michel GUEGUEN
