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Une histoire étonnante de 1944


L'espion allemand était amoureux

C'est un fait authentique qui nous replonge dans l'ambiance tendue, et pleine d'incertitudes, qui a suivi la Libération. L'histoire, qui s'est passée à Concarneau, en novembre 1944, il y a juste soixante ans, est racontée par l'historien Michel Guéguen.



Novembre 1944 : depuis deux mois, Concarneau est redevenue une ville libre. Les seuls uniformes que l'on croise sont bien français et les drapeaux qui flottent sur les halles et l'hôpital sont tricolores. On appréhende pourtant cet hiver qui approche. Pain, café, sucre et tant d'autres denrées essentielles sont rationnées et hors de prix. Les paysans se font tirer l'oreille pour livrer viande et beurre. Va-t-on enfin se décider à distribuer les conserves saisies dans les usines ? A défaut de charbon, pourquoi ne partage-t-on pas les pieux anti-débarquement extraits des Sables-Blancs ?

Elle est déjà loin, l'euphorie de la Libération et, surtout, la guerre n'en finit pas de finir. Après Crozon, de jeunes Concarnois sont désormais sur le front de Lorient où les Allemands tiennent toujours. Chaque nuit, les bruits sourds des escadrilles et des canons résonnent jusqu'à Concarneau. On redoute encore la présence d'espions qui hanteraient les parages. Un curieux incident va venir renforcer ces craintes.

Singuliers pêcheurs

Manque de gas-oil, zones de pêche interdites, crainte des mines, couvre-feu : peu de bateaux ont pris la mer. Seuls quelques petits canots ou des misainiers sillonnent la baie. Personne, en tout cas, n'a prêté attention à cette barque semblable aux autres qui s'approche des plages à la tombée de la nuit. Et pourtant !

L'hôtel Beau-Rivage (actuellement immeuble des Affaires maritimes rue Lucien-Hascoët) est devenu le siège de la Milice patriotique locale. La nuit est maintenant tombée. Tout à coup, la sentinelle qui veille au portail saisit un bruit de conversations feutrées. Les voix se rapprochent. Bizarre, ce n'est ni du français, ni du breton. Le planton distingue maintenant trois silhouettes et vareuses de pêcheurs. Comme elles arrivent à sa hauteur, il réalise : ces marins parlent allemand ! « Halte ! Haut les mains ! » Les cris ont alerté le chef de poste. Les inconnus sont emmenés sous bonne garde. Les gars de la milice n'en reviennent pas : deux mois après la libération, voilà qu'ils font des prisonniers à leur porte. De quoi rêver déjà de médailles...

Toute la vérité

A Concarneau, puis à Quimper, les suspects sont interrogés par la Sécurité maritime. Sans difficulté, le premier maître Wolf passe aux aveux. Partis de Lorient le jour même, lui et ses deux camarades avaient ordre de venir par mer en baie de Concarneau afin de contrôler si des vedettes rapides anglaises ne s'y cachaient pas. Les Allemands craignaient en effet des raids comme celui qui, récemment, avait capturé et dirigé sur l'Angleterre leur navire-hôpital le Rostock. Les trois hommes devaient regagner Lorient dans deux jours au plus tard et avaient l'interdiction de descendre à terre.

Une idée folle avait alors germé dans l'esprit de Wolf : revoir celle qu'il aimait à Concarneau ou, au moins tâcher de savoir ce qu'elle était devenue. En même temps, il essayerait de récupérer son paquetage personnel. Ses compagnons l'avaient suivi. Déguisés en pêcheurs, ils avaient ainsi débarqué sur la plage du Minez sans être inquiétés.

 

Faire la guerre, pas l'amour

Wolf avait séjourné plus d'un an à Concarneau. C'était un marin galonné de 25 ans et, inévitablement, de jeunes Concarnoises l'avaient remarqué. Un Allemand, certes, mais un beau gars quand même. Il avait d'abord connu Andrée. Son jardin était tout proche du casernement du jeune sous-officier. Un trou dans le mur leur permettait de discrètes rencontres et la jeune fille espérait peut-être qu'un jour...

Et puis il y avait eu Pierrette (ce sont évidemment ici des pseudonymes). Cette fois, on s'était fait des promesses : la guerre finie, ils se marieraient, dut-il renoncer à sa carrière. Mais au début de l'été 44, la 6 ème flottille de speerbrechers dont il faisait partie quittait Concarneau pour Lorient. Les marins n'avaient droit d'emporter qu'une simple musette. Ne sachant où laisser ses sacs de vêtements et ses souvenirs, il les avait déposés dans la cave d'Andrée, laissant un mot d'explication dans la boîte aux lettres. Plus tard, il reviendrait. Il était donc revenu, mais entre-temps, la situation avait beaucoup changé.

Pour Wolf et ses « complices », la guerre était bien finie. De toute façon, ils avouaient que Lorient ne tiendrait pas longtemps, alors être faits prisonniers ici ou là-bas leur importait peu. Ils étaient las de ces combats perdus d'avance.

Épilogue

La sentinelle du Beau-Rivage fut-elle décorée ? La barque, quant à elle, fut étroitement surveillée, de peur sans doute qu'elle ne s'évade. Le commandant des patrouilleurs de Concarneau profita de l'aventure pour demander davantage de gas-oil afin de multiplier les rondes, au cas où un autre Tristan...

Questionnées à leur tour, les jeunes filles mises en cause confirmèrent les dires de Wolf, ce qui leur valut de subir les sévices sadiques de courageux « justiciers ».

Une histoire banale somme toute, attendrissante même. Mais on était en 1944...

Michel GUÉGUEN.