Ils furent pendus à la place de deux voleurs
C'est à la sortie de Pont-l'Abbé, en direction de Quimper, au lieu-dit "Ar justisiou". A cet endroit, étaient exécutées les sentences de justice au Moyen-âge. C'est là qu'ils furent pendus et enterrés en contrebas du côteau, à plusieurs centaines de mètres de la gendarmerie actuelle.
Ils tiennent leur nom (« Sonneurs Noirs » en français) en hommage aux deux sonneurs bigoudens "Ar Sonerien Du" qui furent injustement pendus à la place de deux brigands qui sévissaient dans la région à la même époque. (on estime ces faits au 18 ème / 19 ème siècle).
Il faut savoir qu'à cette époque, la richesse des gens se voyait sur le costume. Plus une personne avait du bien, plus son costume était brodé. Les "Sonneurs Noirs" étaient appelés ainsi car pauvre, leur costume ne portait aucune broderie et, de ce fait, été noir. Ces Sonerien Du, avaient l'habitude d'animer mariages et autres fêtes, ne demandant pour salaire qu'à boire et à manger.
Sur la tombe des sonneurs - Ni pierre ni tertre, seulement des objets de piété, un crucifix cassé, des morceaux de chapelets et surtout, beaucoup de vaisselle de porcelaine cassée.
La tombe aurait aussi la propriété de faire retrouver les objets perdus tout comme "Santig du" à Quimper. Le champs voisin s'appelle d'ailleurs "Park ar Santig du".
Ils étaient deux sonneurs, bons garcons, honnêtes gens, un peu ivrognes, mais pas méchants pour un liard. Ils avaient sonné à tant et tant de noces, qu'ils en étaient à confondre les cortèges des fils avec ceux de leurs pères ; ils avaient sonné à tant d'aires neuves, qu'ils n'eussent pu - même les jours où ils n'étaient pas saoûls - dire combien ils avaient vu s'y esquisser d'amourettes.
Et toujours, on les rencontrait, sonnant la joie, sonnant le cidre, sonnant au point, l'un, d'en fêler son bombarda l'autre, d'en crever son biniou.
Et toujours leur bragou était sale, de ce qu'ils avaient couché la-nuit dans les fossés du chemin, au clair de la lune qui les regardait avec des yeux bienveillants, et sous la garde des Korrigans qui les aimaient fort, parce qu'ils traînaient la gaité jusqu'aux clous de leurs sabots.
Et toujours leur chupen était humide, de ce qu'ils en avaient arrosé les broderies par leurs beuveries ou en bavant dessus... Dans tout le Pays Bigouden on les estimait, parce que, d'abord, ils étaient de braves gens, et aussi parce qu'ils avaient la conscience en paix avec Notre-Seigneur.
Le sabotage d'une mission - Il advint qu'un jour de Carnaval, ils firent annoncer ci la jeunesse, qu'ils donneraient à danser dans une lande, sur la route de Kemper. Comme on peut le constater, les "Sonerien du" étaient très sollicités.
N'ayant pu obtenir un récit clair et détaillé de la légende, prénoms référence à un narrateur de la fin du siècle dernier qui a consigné la légende dans un ouvrage " Les bigoudens de Pont L'Abbé ". L'auteur porte un nom très occitan pour un Bigouden Gabriel Puig de Ritalongi.
Mais, ce même jour-là, les Révérends Pères Carmes annoncèrent qu'ils allaient ouvrir une Mission pour Acheter les péchés de tous les gens du pays. La Mission eut lieu, mais la danse eut lieu aussi. Le prêche eut les vieilles femmes, mais la danse eut les jolies filles. Et les deux sonneurs jouèrent leurs plus beaux airs. Et les Révérends Pères firent leurs plus terribles sermons. Chacun prit tant de plaisir à la distraction qu'il s'était choisie, que le lendemain on recommence.
Mais, cette fois-ci, ce ne fut pas tout à fait la même chose : les deux sonneurs soufflèrent de tout leur coeur, et les Révérends Pères tempêtèrent contre les danseurs. Les vieilles femmes, en revenant de l'église, disputèrent leurs maris, leurs filles et leurs fils, de ce qu'ils aimaient mieux danser que d'aller au prône ; mais elles n'eurent pas plus tôt entendu les gais sons des binious qu'elles aussi s'en furent se damner à la danse.
Cela devenait grave, très grave, vilain même pour les deux sonneurs qui avaient ensorcelé tous ces gens-là. Les Révérends avaient le bras long... et les potences de messire le baron avaient aussi les bras longs ! Peu s'en fallut qu'ils ne passassent un mauvais quart d'heure et n'allâssent faire connaissance avec le 'belvédère' que le baron du Pont entretenait au lieu dit ' Les Justices ' (les fourches patibulaires).
Mais ils étaient si aimés de tout le monde, les deux sonneurs, qu'on obtint leur grâce et ils en échappèrent pour cette fois. Mais qui n'a pas ses ennemis'?
Deux voleurs astucieux - Un soir que nos deux sonneurs étaient roulés dans le fossé qui borde la route de Kemper, il vint à passer un convoi de gardes qui s'en allaient pendre deux voleurs. Ils aperçurent les deux dormeurs et, brutalement, ils les appréhendèrent, les remirent sur pieds et, malgré leurs protestations, ils les emmenèrent avec eux. Les voleurs, qui n'étaient pas bêtes et qui savaient que, tant qu'on n'est pas pendu, on a quelque chance de ne pas l'être, avaient convenu avec les gardes que, s'ils rencontraient deux autres chrétiens qui pussent être occis à leur place, ils les laisseraient filer, moyennant finances, firent signe aux gardiens-. Ils convinrent de se retrouver dans une auberge, puis craignant qu'ils ne revinrent sur leur décision, ils se donnèrent de l'air.
Il est reconnu que les voleurs se tirent toujours d'affaire, tandis que les braves gens... ! ! ! On pendit donc nos deux sonneurs haut et court. Puis les gardes, 'heureux de cette bonne aubaine, allèrent retrouver leurs anciens prisonniers, touchèrent leurs fonds, et se saoûlèrent. Savaient-ils qui ils avaient pendu ? Il y en a qui disent oui, d'autres. qui disent non.
Un dernier air avant de mourir - Le lendemain matin, des passants aperçurent deux corps qui se balançaient au haut du ' belvédère ' de messire le baron. Ils s'approchaient afin de réciter des prières pour leur faciliter le passage dans une vie meilleure, lorsque, tout à coup, l'un des pendus s'écria, les yeux pleins de larmes et la voix chevrotante (cela tenait à ce que la corde le gênait pour respirer) et en joignant les mains :
"Chrétiens, mes bons amis, passez-moi, je vous prie mon biniou, que j'en joue encore un peu avant de mourir !" Les passants, effrayés, s'enfuirent vers la ville et annoncèrent ce qui venait de leur arriver. - Ma Doué ! cria-t-on à l'unisson, on a pendu nos sonneurs !
Et les gens accoururent vers les 'Justices' pour voir les pauvres chers... Un homme plus avisé, trouvant le biniou dans un fossé, l'emporta avec lui, et quand il fut près des deux pauvres bougres, il se mit à souffler dedans pour attirer leur attention. Une femme eut l'heureuse idée de les regarder plus attentivement ; elle vit des lueurs qui formaient comme un nimbe autour de la tête de chacun des pendus. - Ah ! s'écria-t-elle, voyez ! Tous regardèrent et ils virent...
Alors ils devinrent plus braves, et bien qu'il fût défendu de toucher aux corps des suppliciés, qui devaient rester jusqu'à ce que les corbeaux les aient dépecés, ils suivirent l'avis de cette femme, qui était, puisque l'un d'eux avait demandé son biniou, de le lui donner.
Guérisons miraculeuses - Mais hélas ! pauvres gens ! Ils étaient morts tous deux, bien morts, et le dernier vœu de l'un d'eux ne fut pas exécuté...
A cette époque, il régnait une fièvre maligne qui emportait tous ceux qui en étaient atteints... On remarqua, à quelque temps de là, que ceux qui avaient eu le courage de supporter l'odeur qui se dégageait des deux pendus, et allaient dire des prières pour le repos de leurs âmes, furent guéris de la fièvre. Le bruit de ces guérisons se répandit, et l'on vint de partout en pèlerinage, invoquer ces deux pauvres sonneurs, pendus bien innocemment. Lorsqu'ils furent à l'état de squelette, on les enterra dans un fossé du champ, au bas de la hauteur où s'élevaient les potences. Les pélerins plantèrent de petites croix en bois sur ce mur et y laissèrent leurs chapelets el de menues pièces de monnaie.
Parallèlement, une épidémie de peste dévasta le pays Bigouden, celle-ci s'ajouta à la légende. En effet, les corps des 2 sonneurs, excommuniés, furent laissés en l'état, à l'endroit même où ils furent pendus, et la légende raconte que le fait de toucher leurs corps immunisait de la peste. Ainsi, ils passèrent du statut de musiciens populaires au statut de porte-bonheur. Depuis, les femmes bigoudènes, lorsqu'elles cassaient des assiettes, allaient jeter les morceaux à l'endroit où les Sonerien Du ont été finalement enterrés, non loin du lieu dit " Ar justicioù " où ils furent pendus, car cela portait bonheur. Ces morceaux de faïence étaient appelés des "bravigoù".
Un des Révérends vint et il abattit toutes les petites croix et il sema par le champ toutes les pièces de monnaie. Il eut la fièvre. Et il faillit en mourir. Et il revint lui-même redresser toutes les petites croix et rechercher une à une toutes les pièces de monnaie. Et il guérit... Et d'autres ont guéri... Et d'autres guériront, car ces sonneurs étaient innocents, et là-haut, ils sont saints.
Historiquement, si l'on croise les différentes infos, il semblerait que cette aventure soit plus contemporaine qu'on ne le pensait au départ. En effet, situé plus ou moins un peu avant la révolution française (par rapport à l' épidémie de peste qui ravagea Pont l'Abbé vers 1635, et qui s'arrêta " miraculeusement" suite à un pardon fait à Ste Anne d'Auray ), Le fait que leur costume noir ait une importance liée au fait qu' il n'était pas brodé, et que la "hiérarchisation sociale " par la broderie date plutôt du début du 19 ème siècle, et que le terme de "maréchaussée" est post révolution française, on en déduira cette histoire n'a pu se dérouler qu'au 19 ème siècle. (il manque à cette hypothèse l'épidémie de peste car les 2 dernières recensées datent du 18ème siècle sur le Finistère sud, et 1920 pour la peste chinoise ...). Des recherches avaient été effectuées par Yann Corentin Ar Gall, sonneur Bigouden renommé, membre fondateur du groupe. C'est lui qui donne le nom Sonerien Du au groupe. Il avait trouvé jusqu'au nom de famille des véritables sonneurs noirs. Malheureusement, il a emporté toutes ces recherches avec lui lors de son décès.
Ma grand'mère a entendu cette histoire de sa grand'mère,
qui disait que cela remontait à bien loin ...