En ce mois d'août 1905, l 'atmosphère n'est pas à la joie sur les quais de Concarneau. Les bateaux restent à terre, les cheminées des friteries ne fument plus. La ville entière attend. Depuis le début de la saison, la sardine refuse, encore une fois, de remplir les filets pas de pêche, pas de travail pour les usines et surtout pas le moindre sou pour acheter le pain et encore moins pour prévoir l'hiver qui approche. Comme en 1902, comme en 1903, comme tant de fois auparavant, c'est une véritable misère qui règne dans les ménages de pêcheurs. Si les armateurs, les gérants ont de quoi voir venir, les marins, eux, doivent se contenter des crédits que veulent bien leur accorder certains boulangers. Mais jusqu'à quand ?
Le maire, Samuel Billette de Villeroche, qui est aussi propriétaire de l'une des plus anciennes usines de Concarneau ne peut rester insensible à la détresse de ses concitoyens. Déjà, en 1902, il avait mis sur pied une cavalcade dont le bénéfice avait permis de soulager les plus démunis. L'année suivante, c'est une souscription qu'il lançait au profit du Bureau de Bienfaisance. Avant lui, d'autres s'étaient aussi efforcés d'atténuer la misère. C'est ainsi qu'avaient été créés des "Ateliers de Charité", de nouveaux octrois, une salle d'asile avec fourneau économique pour les enfants un Bureau de Bienfaisance. On avait organisé des loteries, des distributions de pain. Sans compter les lettres régulièrement adressées à Paris pour obtenir quelque subvention.
A Pont-Aven, le barde Théodore Botrel vient de lancer une fête champêtre qu'il a baptisée "Fête des Fleurs d'Ajonc" et qui a attiré une foule incroyable. Pourquoi ne pas s'en inspirer pour Concarneau ? A la hâte, Billette a réuni quelques-uns de ses amis. L'idée est lancée. Un Comité provisoire est constitué :
Le Fouesnantais Jos Parker est un ancien élève de Merson et de Deloble mais il sait manier la plume aussi bien que le pinceau et est considéré comme l'un des meilleurs poètes bretons. Chantre de la Bretagne rurale, il connaît bien aussi la vie de ces pêcheurs qu'il voit évoluer dans la baie, presque sous ses fenêtres. C'est lui qui va trouver un nom de baptême pour cette fête qui, depuis cent ans reste l'un des porte-drapeaux de Concarneau, la "Fête des Filets Bleus". Parker sera l'un des premiers à payer de sa personne en interprétant sur scène plusieurs de ses poèmes, au cours de cette première Kermesse de Charité. Il en sera le vice-président.
A l'origine de la fête, il faut aussi signaler l'ancien banquier reconverti en artiste-peintre, Fernand Legout-Gérard. Bien qu'originaire de Saint-Lô, il est devenu Concarnois d'adoption car c'est par centaines qu'il a réalisé des toiles témoignant de sa passion pour cette ville et surtout ses marins. Il vient d'ailleurs de s'y fixer en achetant une vaste villa face à la mer. En 1899, il avait déjà donné une preuve de son attachement au paysage concarnois en portant lui-même au Ministère une pétition protestant contre le projet de démolition des remparts. C'est avec enthousiasme qu'il adhère à l'idée de Billette, entraînant derrière lui de nombreux artistes séjournant à Concarneau qui vont offrir une de leurs oeuvres en guise de lots.
Le second vice-président sera le jeune baron Loîc de Cambourg, célibataire et riche propriétaire parisien qui fréquente régulièrement Concarneau. Il vient d'ailleurs d'y hériter d'un vaste domaine, face à la plage de Cornouaille et où il construira quelques années plus tard un imposant hôtel. Joyeux drille, habitué des cabarets parisiens, il va lui aussi, contribuer à l'entrain de la fête en y interprétant deux chansonnettes comiques fort appréciées. Sa mère, comtesse d' Haudicourt ne manquera pas non plus de se montrer généreuse en apportant son soutien lors de la souscription. En. 1912, de Cambourg deviendra président des Filets Bleus.
C'est encore un peintre habitué de Concarneau qui accepte de prendre en charge la première présidence. Habert est, en effet, un homme affable et dynamique qui saura coordonner les bonnes volontés. Sans hésiter, il deviendra Joël dans la pièce d'André Theuriet "JeanMarie", jouée l'après-midi. Accompagné de sa femme, il saura charmer le public par des poèmes de son cru. Il serait fastidieux d'énumérer tous ceux qui furent de la première heure, mais évoquons cependant le nom de quelques Concarnois comme le pharmacien Montellier qui devient secrétaire de l'Oeuvre, aidé de l'entrepreneur Bonduelle, tandis que l'imprimeur Le Tendre tient les cordons de la bourse. A eux se joindront les docteurs Dubois et Lucas, les membres de la fanfare municipale...
