|
|
Il y a 100 ans, le premier thonier concarnois
Centenaire du beffroi, bicentenaire du Vétéran, selon Michel Guéguen,
un autre anniversaire mériterait d’être fêté en 2006 : le premier thonier…

Au début du XX ème siècle, qui disait pêcheur concarnois, disait pêcheur de sardines. Il en était ainsi depuis des générations. Une pêche qui permettait de garder toujours un œil sur la côte et de trouver, chaque soir, l’abri d’un port. Une pêche qui semblait si prometteuse aux yeux des petits cultivateurs du coin que beaucoup s’y étaient mis, abandonnant penty, vache et cochon pour venir tirer sur le bois mort, à la poursuite de ce poisson miraculeux.
Même les femmes s’y étaient mises, non pas à la pêche, mais en se faisant embaucher dans les conserveries qui fumaient aux quatre coins de la ville : plus de trente, de quoi donner du travail à tout le monde. Il avait suffi de quelques bonnes saisons pour que tous y croient, louant des " appartements " au Lin ou dans le quartier de la Croix pour être sur place tout l’été.
Plus de 600 chaloupes armaient à la sardine jusqu’à la fin octobre. Quand le poisson était abondant dans la baie, d’autres barques de Douarnenez, Audierne ou du Morbihan, venaient aussi vendre à Concarneau, emplissant l’avant-port et le fond de la rade de coques noires, de filets et de mâts, animant la ville de cris et de chants que l’alcool prolongeait au-delà de la nuit. Et puis coup sur coup, plusieurs années de pêche catastrophique avaient sapé le moral des plus enthousiastes. Boulangers et épiciers acceptaient bien, un temps, de vendre à crédit, mais si la sardine manquait trop longtemps…

Deux à trois semaines sans voir le port
A l’euphorie succédait maintenant l’angoisse de la famille à nourrir, de la roque à payer, des dettes qui s’ajoutaient aux dettes. Pour survivre, les sardiniers devenaient mendiants.
Pourtant, d’autres marins, venus de La Rochelle, d’Etel, de Groix, continuaient d’arborer des visages réjouis, les soirs de paye. Pour eux, la pêche restait bonne, pour eux, les gains ne cessaient de croître. C’est que le poisson qu’ils venaient livrer aux usines concarnoises n’était pas la sardine mais le thon, pêché parfois à 300 milles des côtes, parfois plus loin encore
Oui, mais rester ainsi deux ou trois semaines sans voir le port, manœuvrer un grand dundee à la haute voilure, les Concarnois ne s’y sentaient pas prêts. La sardine reviendrait bien un jour, le thon, c’était l’affaire des Groisillons, des Grecs !
Le rêve du lapin
Gabriel Berou, " Le Lapin ", est, lui aussi, patron sardinier. Mais par chance, sa femme, Jeanne Sauban tient un débit en Ville-Close, ce qui assure tant bien que mal la survie de la famille. D’ailleurs, Berou lui-même n’est pas homme à perdre espoir.
A bord de son Audacieux, il a souvent ramené du poisson alors que les autres ne remontaient que des filets vides. S’il le faut, il ira, lui aussi pêcher le thon. Depuis des mois déjà, il y pense. Il a gardé en mémoire cet embarquement à bord d’un dundee de Groix en 1901. Barrer un tel bateau ne lui fait pas peur. Il n’a pas oublié non plus qu’en 1892, des Concarnois avaient tenté cette pêche au large et avaient échoué mais leur thonier n’était qu’une grande chaloupe pontée de 13 mètres. Lui, ce qu’il imagine, c’est un véritable dundee de 20 mètres de pont, une cinquantaine de tonneaux de jauge.

Il y a 100 ans, le premier thonier concarnois (suite et fin)
Michel Guéguen nous a laissés en compagnie de Bérou, dit Le Lapin, et ses rêves de pêche au thon. Voici tout juste cent ans, on lançait l’Avenir…
A peine rentré de la saison de sardine 1905, aussi désastreuse que les autres, Bérou est allé voir le voilier Le Rose, Louis Bolloré le cordier, le constructeur de chaloupes Louis Le Roy. Il s’est montré si convaincant que tous trois ont adhéré à son projet : si la sardine ne donne plus, il faut tenter autre chose. Chacun s’est engagé pour le quart de la somme, 4000 francs chacun ! Le bateau lui-même coûtera 10000 francs mais Le Roy, qui s’est chargé de le construire, est confiant. Bérou, de son côté, n’a pu que promettre car il est loin d’être aussi à l’aise que ses partenaires.
Pour faire face aux premières dépenses, il a même dû vider en cachette les livrets de Caisse d’Epargne de ses trois filles. Le 9 février 1906, l’Avenir glisse enfin sur son ber. Prévenue au dernier moment, La Lapine lève les yeux au ciel. Son homme patron d’un thonier ! Sûr, " çui-là " est parti fou !
Le grand essor du port
A son bord, Bérou a gardé l’équipage de l’Audacieux. Dès la fin février, premiers essais pour un campagne au chalut de deux mois. Le bénéfice total à partager ne sera que de…198 francs mais l’Avenir a fait ses preuves. Le 5 juin 1906, le premier dundee concarnois franchit à nouveau la jetée pour la haute mer. Cette fois, sa destination est bien la pêche au thon. Beaucoup restent sceptiques. Sans être miraculeuse, cette première marée sera tout de même de bon augure avec 934 thons débarqués, soit un bénéfice net de près de 4000 francs. Les résultats aidant, le mouvement d’abord timide, est lancé. De Trégunc, de Névez, de Moëlan, des marins se portent volontaires pour cette pêche au large. En 1910, il n’y a encore que quatre thoniers armés à Concarneau. Deux ans plus tard, ils sont douze. En 1922, on en compte 56, en 1934 plus de 160 !

De plus en plus loin
Le port, et avec lui toute l’économie locale, sont sauvés. Certes, la flottille sardinière a sensiblement diminué mais les chalutiers se multiplient de leur coté. Les usines tournent à plein. On entreprend de grands travaux dans l’arrière-port, une criée spéciale a été créée pour la vente au thon.
Chaque été, ce sont des centaines de dundees qui envahissent les abords de la digue. Et puis viendront les chambres froides, la motorisation, les clippers, la pêche au large des côtes d ‘Afrique, dans l’Océan Indien. Les Concarnois seront toujours présents sur ces navire " made in Lanriec ", traquant le thon de plus en plus loin de leur port d’attache, premier port thonier européen…
Qui se souvient aujourd’hui de ce premier Concarnois à avoir osé ce pari insensé : armer un thonier au pays de la sardine ? C’est ce même Gabriel Bérou qui donnera aussi l’exemple en mettant le cap, le premier, vers ces côtes de Mauritanie, Eldorado de la langouste verte. Pêcheur oublié, il fera même partie de ces héros oubliés de la guerre. En 1918, son bateau, réquisitionné pour transporter du charbon d’ Angleterre, heurte une mine et sombre avec tout l’équipage. Bérou, un nom dont il faut se souvenir.

Michel GUEGUEN
.
|