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Le cauchemar d’un mois d’été


Juillet 1961

 

Bien avant le « réchauffement climatique » l’été réservait des surprises. L’historien concarnois Michel Guéguen raconte la tempête de juillet 1961

Le temps détraqué de ce début d'été est-il vraiment une nouveauté ? Bien longtemps avant que le « réchauffement climatique » ne soit montré du doigt, nous avons connu d'autres mauvaises surprises estivales. Cette tempête imprévue, en pleine campagne de Pêche 1961, en est un exemple mémorable.


L'été commence bien
La saison s'annonçait sous de bons auspices: la pêche au thon dans le Golfe de Gascogne et en Afrique donnait déjà à plein, le sprat était réapparu dans la baie, la criée ne désemplissait pas et son directeur déclarait même que Concarneau était passé devant Lorient, pour les apports du mois de juin. En ville, on inaugurait le Musée de la Pêche au son du bagad de l'amicale laïque et, sur la place, la nouvelle foire-exposition faisait recette. La SNC préparait ses premières régates de dériveurs, !es estivants envahissaient les campings, le long de la plage des Sables-Blancs.

Et puis il y avait eu ce petit tremblement de terre, au début de juillet, qui n'avait occasionné aucun dégât mais avait fait dire: «Si la terre gronde, la mer ne va pas tarder à gronder à son tour !


La mer se déchaîne
Dès le mardi 11 juillet, les nombreux bateaux en pêche dans le Golfe annoncent par radio un gros temps qui va s'aggravant. Le soir même, Radio-Conquet capte un message du thonier Commandant Levasseur annonçant qu'il vient de recueillir léquipage d'un thonier espagnol désemparé et fait route sur Concarneau.

Les jours suivants, la dépression gagne tout le littoral atlantique. L'Éric-Gérald et l'Amiral-Barjot signalent des dégâts à bord. Le Lapérouse, chahuté par les vagues au large de l'Espagne, voit ses filets arrachés du pont pour aller se prendre dans l'hélice. Toute la flottille rassemblée dans ces parages a dû mettre à la cape (arrêt de la pêche en attendant l'accalmie). On est sans nouvelles de plusieurs unités vendéennes.

A Concarneau, le baromètre descend à 737 mm. Les rafales de pluie et d'embruns mêlés balaient la corniche à près de 100km/h. A Port Manech, au Pouldu, des cabines de bain sont pulvérisées. Sur toute la côte, on regarde anxieusement vers le large... Le 13 au soir, un thonier franchit enfin la digue: le Comandant-Levasseur s'amarre devant la criée. A son bord, 13 marins espagnols recueillis de justesse au coeur de l'ouragan.

Solidarité des gens de mer
Grâce à quelques interprètes, on peut en savoir plus sur les circonstances du drame. II était 5 h du matin, le mercredi 12. Le Padre Mazareno du port de Gijon, qui avait en cale plus de 400 thons, se trouvait à 80 milles de la côte.

Comme les autres, il attendait l'accalmie pour rentrer. Une lame énorme vint tout à coup le coffrer par l'arrière, arrachant mât et tangons, déplaçant, sous le choc, le bloc-passerelle et noyant le moteur. Radio inutilisable, voies d'eau de toutes parts. Le bateau n'était plus qu'une épave ingouvernable.

Par chance, le Commandant Levasseur l'apercevait une heure plus tard et, sans hésiter parvenait à s'en approcher. Au prix de mille difficultés, les hommes étaient transbordés et réconfortés sur le thonier breton. À quelques encablures de là, un autre navire espagnol du même port venait de sombrer avec son équipage.

Aussitôt débarqués à Concarneau, les rescapés du Padre Mazareno sont habillés de neuf à la Coopérative maritime, puis conduits à la gare de Rosporden pour leur permettre de regagner l'Espagne. Pour eux, l'épreuve se termine bien.

Le 14 juillet au soir, le Lapérouse, un bolincheur de l'armement Auber-Jan, qui faisait route sur Concarneau avec 900 thons à son bord, découvre l'épave abandonnée du Pâdre Mazareno à demi enfoncée dans les vagues. Impossible de la laisser ainsi dériver dans cette zone fréquentée. Le patron réussit, après maintes tentatives, à le prendre en remorque.

Pendant 35 heures, le convoi fait ainsi cap sur le Finistère, dans une mer très formée. Le dimanche 16, à 4 h du matin, il a doublé Groix et s'aligne sur le feu de Penfret. Concarneau est à une demi-heure de marche, Tout à coup, le thonier espagnol pique du nez et disparaît. On est au large de Port-Manech ! Épuisés et déçus, les gars du Lapérouse touchent enfin terre. Les hommes sont sauvés, là est l'essentiel.

Quelques jours plus tard, on apprendra le naufrage du Yvanna de Concameau, aussi sur les côtes d'Espagne. Son équipage, heureusement, a été récupéré par le Ker-Tréguier. Le bilan de cet ouragan est, pour les pêcheurs espagnols, des plus tragiques: 64 marins noyés, 12 bateaux coulés... en plein été.

Michel GUEGUEN.