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Château de Trévignon


 

 

Le tonneau maudit de Trévignon

Tout à coup, la fourche d'Annaïg heurta une masse sombre parmi les algues :
une sorte de tonnelet que certainement les vagues avaient roulé jusque-là. »

L'historien Michel Guéguen laisse un peu ses documents pour raconter une histoire,
comme on en disait autrefois, aux veillées du Nouvel An

En ce temps-là, les tempêtes d'hiver ne déposaient sur les plages bretonnes ni emballages plastiques, ni hydrocarbures, seulement quelques espars ou des cordages emmêlés, arrachés du pont de voiliers malmenés au large. Parfois aussi, hélas, un canot démembré venait offrir ses bordés disloqués qui finissaient dans la cheminée des chaumières voisines.

Cela se passait, disent certains, il y a deux cents ans ou peut-être davantage, mais qu'importe. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que personne n'ose affirmer qu'il ne s'agit que d'une légende. Aujourd'hui encore, si, croyant distraire l'assistance, vous vous avisiez de la conter dans certaines fermes des environs, vous verriez l'auditoire blêmir et peut-être même vous prier de ne jamais plus franchir le seuil de la porte.

Curieuse trouvaille

Depuis deux jours, la tempête sévissait sans relâche. De l'Ile-Verte à Trévignon, une écume épaisse emmaillotait les rochers et s'éparpillait en flocons sur les touffes d'ajonc, les champs et les murets de pierres. Ce soir-là, Fanch, le valet de la ferme de Kerbec, finissait de sortir la vieille litière de l'étable. Malgré le hululement continuel du vent, il crut soudain distinguer comme un énorme craquement venant de la mer, quelque part entre Men-du et Trescao. Descendu jusqu'à la falaise, il n'avait rien pu découvrir à travers le rideau d'embruns et de pluie qui hâtait la tombée de la nuit.

Curieusement, le lendemain le temps était redevenu clair et, si le vent était encore dru, seule la lourde houle témoignait des fureurs nocturnes. Fanch et Annaïg, la servante de la ferme, avaient attelé le tombereau et pris le chemin de la dune. C'est qu'il y en avait du goémon à récolter, après un pareil coup de tabac !

Depuis le temps qu'ils travaillaient à Kerbec, ils avaient beau n'avoir jamais suivi d'école, tous deux savaient comment se rendre utiles sans attendre les ordres de la patronne ni du vieux Jos. De salaire, ils n'en avaient jamais eu mais ils étaient nourris et logés et touchaient même, pour leurs étrennes, lui une veste de toile grossière, elle une jupe et un gilet de droguet. Que souhaiter de plus ? N'ayant jamais vu le moindre liard, ils se contentaient de peu.

Sous le poids des laminaires ruisselants, l'attelage commençait à s'enfoncer dans le sable. Quelques brassées encore et on rentrerait au village. Tout à coup, la fourche d'Annaïg heurta une masse sombre parmi les algues : une sorte de tonnelet que certainement les vagues avaient roulé jusque-là. Du vin de Porto ou de Bordeaux, probable ? Surprise ! malgré sa modeste taille, cette futaille était bien trop lourde pour ne contenir que du vin. Quelques coups sur les douves et une partie du contenu vint s'étaler sur les algues : des boutons de cuivre, rien que des boutons de cuivre ! De quoi garnir les vestes de tous les riches châtelains du canton. Pour sûr, ni Fanch, ni Annaïg n'en auraient l'usage, mais peut-être leur maître ? Au retour, ils firent bien rire la fermière en lui contant leur trouvaille et leur déconvenue.


Louis d'Or

Des boutons contre un habit neuf

Le dimanche suivant, en rentrant de la messe de Saint-Philibert, le fermier et sa femme étaient sens dessus dessous : ils avaient appris qu'une brigantine armée à Landévennec et faisant route sur Auray avait fait naufrage, voici quelques jours, dans les parages de Trévignon. L'équipage avait heureusement réussi à regagner la côte et avait raconté à qui voulait l'entendre que le vaisseau transportait plusieurs tonneaux d'or. C'était, affirmaient-ils, le produit des quêtes destinées à la construction d'une chapelle dédiée à Sainte Anne. Par chance, avant que ne sombre le navire, ils avaient eu le temps de larguer une bouée lestée afin d'en marquer l'endroit.

Cette nouvelle avait intrigué la patronne de Kerbec : des tonneaux d'or ? Et si les boutons trouvés par ses gens étaient en réalité des pièces d'or ! Après tout, elle ne les avait pas vus ces boutons, et c'est bien dans le secteur du naufrage qu'ils les avaient découverts ! Discrètement, elle en parla à son mari. Aussitôt, celui-ci se rendit au penty de Fanch.

- Paraît que vous auriez ramené un tonneau de boutons ? Je peux voir ?

Au premier coup d'oeil, il avait compris. Des boutons comme ceux-là, il n'en aurait jamais trop !

- Tiens, si tu veux je t'en débarrasse. Je trouverai bien quelque colporteur que ces boutons pourront intéresser. En échange de votre tonneau, je vous ferai tailler à chacun un joli costume du dimanche avec velours et rubans.

Marché conclu. Séance tenante, boutons et emballage se retrouvèrent bien à l'abri sous quelques bottes de paille, au fond du karrdi-pres.

Profitant d'une grande marée, les moines de Landévennec avaient dépêché une chaloupe sur les lieux du naufrage. La bouée était bien là et un plongeur n'avait eu aucun mal à récupérer la précieuse cargaison. Massés sur la dune, les curieux étaient accourus nombreux. Chacun imaginait ce qu'il pourrait acheter, ne serait-ce qu'avec une infime partie de ces trois barils. Mais on apprit bientôt qu'on avait chargé, au départ de la brigantine, non pas trois, mais quatre tonnelets. La perte était considérable. Sûrement, l'un d'eux était encore au fond de l'eau. Quelques processions le long de la mer aideraient sans doute à le découvrir. On aperçut même, à la tombée de la nuit, quelques barques furtives rôder dans les parages. Hélas, prières et explorations restaient vaines et chaque marée ne déposait sur la grève que vergues et planches brisées.

Fortunes et soupçons

A quelque temps de là, les habitants de Saint-Philibert virent un joli char à bancs, tiré par un fringant trotteur, s'arrêter sur la place. Plus étonnant encore, le fermier et la fermière de Kerbec en descendaient, fiers comme Artaban, dans des atours dignes des châtelains de Penanrun. Certes, on les savait bons métayers, exploitant des terres fécondes, mais il n'était pas dans leurs habitudes de porter ostensiblement les marques de leur aisance.

Peu après, on les vit agrandir leur domaine, louer de nouvelles parcelles, rempailler à neuf les toits de la métairie... Puis ce furent les domaniers de Kerzu qui, à leur tour, se mirent à porter chapeau à boucle d'argent et tablier brodé. Bientôt, ceux de Lannec en firent autant. Plusieurs simples fermiers de Lanriec se mirent à acheter terres et édifices. Ces soudaines fortunes commençaient à faire du bruit dans le canton. N'avait-on pas vu l'un d'eux jeter exprès des sacs de blé dans le Minaouët, histoire d'épater ses voisins ? C'en était trop !

Quelqu'un remarqua que ces nouveaux riches étaient tous voisins ou parents de Kerbec. On questionna habilement les domestiques qui parlèrent de boutons dorés. Le rapprochement fut vite fait. Certains savaient donc déjà où se trouvait le trésor perdu et quelques poignées d'écus avaient suffi à acheter leur silence.

Feignant de ne rien savoir, le recteur implora plusieurs fois les paroissiens qui, par mégarde, auraient pu récupérer le fameux baril, de le lui confier. Le sermon resta sans effet. Des prédicateurs tentèrent l'intimidation, menaçant les éventuels receleurs de punitions infamantes. Toujours pas de tonneau.

Lavoir à Trévignon


D'étranges coïncidences

Alors tomba la sentence en forme de sinistre prédiction. On découvrit, un matin, placardé sur l'une des stèles proches de la chapelle, un message inquiétant : tous ceux qui, peu ou prou, avaient profité de l'or volé verraient, en moins de trois générations, le malheur s'abattre sur leurs proches et leurs biens. Plaisanterie douteuse ou véritable sortilège ?

La première frayeur passée, ceux que tourmentait encore leur conscience oublièrent cette affiche de mauvais augure. Pourtant d'étranges coïncidences se produisaient. En une nuit, toute la moisson d'une ferme fut ravagée par l'invasion de rongeurs d'une voracité inouïe. Non loin de là, un troupeau entier succomba à une fièvre foudroyante. Tous les bâtiments d'un domanier disparurent dans un incendie inexpliqué. Certains, voulant conjurer le sort, tentaient de vendre leurs biens pour s'enfuir ailleurs mais aucun acquéreur ne se présentait et les ronces envahissaient champs et cours. Un soir, on aperçut un homme courant sur le rivage, du côté de Trescao, un lourd sac sur le dos. On ne le revit plus.

Le lendemain, un promeneur ramassait au pied de la dune une monnaie d'or rejetée par le flot. Jusqu'à la troisième génération, la malédiction se perpétua, ruinant les uns, décimant les autres. Sans doute, aujourd'hui, ne reste-t-il plus la moindre trace du trésor maudit. Aux veillées de fin d'année, on ne raconte plus guère de légendes et encore moins celle-ci du côté de la Pointe ou du Cabellou. C'était il y a bien longtemps. Histoire vraie ? Conte sans fondement ? Dans un coin de grange, non loin de Trévignon, quelques douves très anciennes finissent de pourrir en silence.

Michel GUEGUEN

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