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BRETAGNE
1905 … PREMIERE
FETE FOLKLORIQUE
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Les Filets Bleus à Concarneau
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S'il
est une spécialité à Concarneau , c'est la sardine. Vous savez,
ce p'tit poisson, à peine plus long qu'un double-décimètre, hum,
un délice pour les papilles, une fois grillé !…bleu-vert côté
face, argenté côté pile. Eh bien, au pied des remparts de la Ville-Close,
on raconte qu'on la pêchait déjà au 15ème siècle, le long des
côtes… peut-être même bien encore avant ! Enfin, 15ème ou pas,
toujours est-il qu'à partir du siècle suivant, en Ville-Bleue,
on ne parle plus que de la Dame sardine. Et tout le monde participe
à son activité. Les hommes la pêchent, les femmes et les filles
la salent ou la presse, les enfants s'occupent des filets. Dans
le port, les chaloupes se font, chaque jour, plus nombreuses.
Bref, la Grande Epoque de la sardine a bel et bien commencé !
Très vite, le petit poisson, couleur argent devient la " Grande
Affaire " de Concarneau. La sardine manne océanique.
Il est vrai aussi en 1784, on compte déjà dans le port, pas moins
de quelque 300 chaloupes équipées et que, 50 ans plus tard, comme
le rapporte les traités et les guides pittoresques de l'époque,
" la sardine, dans la Ville-Bleue, on en prend, année commune,
de 12 à 15.000 mille barils et 30.000 dans les années abondantes,
sans y comprendre de 7 à 8.000 barils de sardines enchoisées… ". La sardine, jusqu'au début du 19ème siècle, devient le "
Blé de l'océan ", une manne inappréciable qui procure une
nourriture abondante aux habitants les plus pauvres de la campagne.
Hélas, la population toute entière est à la merci des caprices
de ce poisson migrateur, à l'humeur fantasque, qui reste parfois
plusieurs années sans montrer l'ombre d'une nageoire le long des
côtes !…
La
sardine déserte nos côtes. Tenez, prenez 1902, par exemple. Cette
année-là, le petit poison à décider de fausser à nouveau compagnie
aux pêcheurs concarnois seulement, cette fois-ci, son infidélité
va avoir des conséquences dramatiques pour l'ensemble de la population.
Cette foi-ci, en effet, la sardine ne se contente pas de s'absenter
quelques mois mais sept années durant. Sept très longues années,
de 1902 à 1909, en raison " d'une modification du régime des courants
", selon un océanographe célèbre de l'époque, le Prince de Monaco.
" Des courants qui se seraient éloignés des côtes, emportant avec
eux, la nourriture de la sardine ainsi que la sardine qui aurait
suivi ". Malheureusement, en 1902, les marins-pêcheurs n'ont pas
les moyens d'aller pêcher plus au large ! Alors, très vite, les
campagnes se font déficitaires. Les usines ferment, les unes après
les autres.
Tout le sud de la Bretagne est touché mais plus particulièrement
le département du Finistère avec des villes comme Concarneau où
la majorité de la population vit exclusivement de la sardine.
A partir de 1902, dans bon nombre de chaumières concarnoises,
les foyers sont sans feu. Et, bientôt, c'est un chômage presque
général avec son cortège de misères et de troubles. Concarneau
vit de la charité nationale. Quand le reste de l'hexagone vient
à avoir vent de cette situation critique, l'émotion est considérable
comme en témoigne la presse entière. " L'Illustration ", dans
son numéro du 5 octobre 1902, consacre une page entière à " Concarneau, la jolie ville malheureuse ". Ce sera cet hiver, écrit le rédacteur, " La grande misère sur la côte bretonne ". La saison a été mauvaise, et les touristes, les baigneurs,
sont venus moins nombreux que les années précédentes. La pêche
a été pitoyable, la pêche à la sardine surtout. Il va falloir
venir en aide à tous ces braves gens si vaillants pourtant, si
durs à la peine et victimes… ".
L'année
suivante, La vie illustrée titre : " La misère en Bretagne
- la sardine sur les côtes bretonnes. La misère, cette plaie qui
n'a pas de patrie, désole nos côtes bretonnes. Des familles de
pêcheurs, éprouvées par la raréfaction de la sardine, ne gagnent
plus le pain quotidien ". A ce moment là, la population maritime
de Concarneau vit de la charité nationale. Il y a des souscriptions
dans toute la presse et, pendant les hivers, de 1902 à 1905, on
distribue des bons de toute espèce, envoyés des quatre coins de
France. On ne donne pas d'argent, mais avec l'argent des souscriptions,
on paye des bons chez le boulanger, chez l'épicier, chez le marchand
de sabots… Chacun, dans la mesure de ses moyens, vient en aide
aux plus infortunés. Dans le pays même, à Concarneau, on ne reste
pas inactif. Mais, la situation paraît sans issue, la pêche demeure
mauvaise. Une manifestation pour collecter des fonds. Aussi, afin
de trouver des fonds pour secourir les familles de marins-pêcheurs,
on en vient à organiser de nombreuses manifestations ici et là.
A
Concarneau, en 1905, l'usinier Billette de Villeroche,
alors premier magistrat de la ville, lance l'idée d'une fête dont
le rapport pécunier permettrait à la population la création d'une
œuvre durable destinée à venir en aide immédiate aux nécessiteux.
But de l'œuvre : " Créer un fourneau économique et une crèche,
ainsi que soulager l'immense misère qui sévit sur les côtes bretonnes
par suite de la disette de la sardine ; aider aussi les enfants
; les soutenir dans la vie jusqu'au jour où la France les appelant
dans sa flotte de guerre, ils seront assez robustes pour défendre
et faire triompher le Pavillon national… ".
L'usinier Billette
de Villeroche persuade un groupe d'amis de l'aider à organiser
la fête. Un comité se crée au sein duquel se regroupent commerçants,
vacanciers, peintres et poètes. Et, parce que depuis quelques
années, les sardiniers ont préféré, à la teinture de leurs filets
dans une mixture sombre d'écorces de chênes et de châtaigniers,
la teinture en bleu qui les rend moins visibles dans l'eau, le
poète Jos Parker de la Forêt-Fouesnant, " Al Louenan ,
le roitelet " nom qu'il s'était donné, baptise la fête, " Fête
des Filets Bleus " et l'ensemble des artistes proposent même
leur collaboration pour dessiner l'affiche. Celle de Granchi
Taylor, avec la sardinière un peu triste, devant le beffroi
de la Ville-Close, qui tient dans ses bras , son nouveau né, est
alors retenu. Un chansonnier accepte même de composer quelques
couplets de circonstances qu'il confie à un groupe d'artistes,
le Trio Montmartrois : " Vive les Filets Bleus, matelots
joyeux, petits Filets Bleus… ".
Le
10 septembre 1905, à Concarneau, une grande fête de bienfaisance
à caractère folklorique est créée, la première du genre en Bretagne
: La Fête des Filets Bleus ! Première le 10 septembre 1905.
Le spectacle proposé ce jour étonnerait aujourd'hui plus d'un
amateur de folklore. En effets, si des binious sont rassemblés
sur la place, c'est uniquement pour convier la foule à entrer
sous le chapiteau d'un théâtre, trouvé là par hasard, et que le
directeur s'est empressé de mettre à la disposition des organisateurs
de la fête. En première partie, une prestation de la fanfare municipale,
quelques chansons des poètes, dont celle des Filets Bleus. En
deuxième partie, après un entracte, les badauds sont conviés à
la représentation d'un drame en un acte dont on retiendra surtout
le titre : " Jean Marie ". La journée de ce 10 septembre 1905
se poursuit par un super concours de costume bretons et, après
quelques danses, une reine est élue. Il ne reste plus, alors,
qu'a tirer la tombola dont les lots sont des tableaux, des maquettes
et des sculptures.
Fête sans prétention aucune et certainement sans idée de constituer
une première, les Filets Bleus sont de retour, l'année suivante,
la crise de la sardine persistant. La climat social est de plus
en plus tendu et, c'est entre un attentat à la dynamite en gare
de Concarneau et une grève des terrassiers de la ligne de Pont-Aven
que ces seconds Filets Bleus vont avoir lieu, rapportant tout
de même le bénéfice de 8.400 F…Sylvie Vénéguès
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