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Plage de Cornouaille


 

 


EXTRAIT DU JOURNAL " LE CONCARNOIS " ANNEES 1910 et 1911


Edité par Emile Le Tendre (Archives Départementales de Quimper)


Lettre d'une concarnoise à sa consorte de Paris :

Vous n'savez pas, ma pauv' Marie ce qu'il y a de neuf ici ? Eh bien ! Il y a un journal qui paraît tous les samedis, voui, ma pauv' fille, comme ça on va avoir un peu les nouvelles du pays, je vous enverrai un numéro tous les dimanches si vous pouvez pas revenir ! C'est les journaux de Paris qui vont être embêtés ! Car ceux là qui racontent rien que des blagues sur Concarneau ! Comme ça ils s'ront bien obligés de copier le CONCARNOIS (ça, c'est le nom du journal) .

C'est d'puis qu' t'es partie qu'y a eu du goût ici, tiens, mââ ! Y a un tas de soldats : des marsouins, des culottes rouges, et puis des p'tits chasseurs, comme l'année dernière, tu sais bien, ceuss qui avaient des éperons et des p'tits ch'vaux fringants.

Jamais ma pauv' fille on a eu tant de goût, et encore la moitié des usines ne marchant pas, on a eu toute la journée et le soir pour rigoler ! Seulement, on a mis des soldats chez " La Puce " et alors il n'y a pas de bal le dimanche ; heureusement que l'après-midi on danse chez Kerjose à la Maison Blanche.

Tache de ramasser quelques sous pour revenir ici tu s'ras encore mieux qu'à Paris, et pis tu diras qu' ta mère est malade et que quand elle s'ra guérie, tu retourneras là-bas !

Si tu viens, envoie moi une carte postale et le dirai à Jean qui reste à terre ce jour-là, et avec mon blond, nous irons tous les quatre rigoler. Jaquette pourrait venir aussi avec un soldat qu'elle connaît bien. A'revoir, ma chère Marie, et à bientôt .(Catherine)

Réponse de Marie à sa consorte Catherine : 31 juillet 1910

C'est vous qu'avez fait un beau coup de m'écrire ici, pensez ma pauv' que c'est Madame qui a décacheté ma lettre ! Alors je vais pas pouvoir partir, comme vous disiez, pour revenir, n'importe ce que je raconterai à Madame, elle ne me croire pas !

Peh ! Ma pauv' fille, qu'é m'a dit, vous n'avez pas honte de recevoir des lettres pareilles. Enfin, je vais tâcher moyen de me débrouiller pour aller rigoler avec toi. Ici y a pas de soldats, mais y a du goût tu sais ! Dans la maison où que je suis, y a au grenier cinq bonnes et trois valets de chambre ; à partir de 10 ou 11 heures du soir, on peut rigoler comme on veut ; des fois même on sort.

Dimanche dernier, on est allé à la fête des Batignolles qu'est tout près d'ici, et on est resté en bordée jusqu'à lundi matin, et je crois bien qui s'ront mis à la porte. Les bourgeois ici sont difficiles, tu sais, alors pour un rien on vous fout dehors.

Si seulement j'avais l'argent du voyage ça m'serait bien égal mais je viens de voir dans un grand journal que les femmes vont toucher moitié plus pour travailler à l'usine, si j' savais qu' s'rait vrai, c'est moi qui partirait d'ici, mais j' crois bien qui raconte des blagues, j'ai vu en même temps qu'on empêcherait aux gérants de prendre des femmes de ménage parmi les friteuses ; ça c'est pas possible.

N'oublie pas de m'envoyer le journal de Concarneau, mais envoie le Poste Restante bureau X que Madame ne vas pas encore fourrer son nez dedans ! A'revoir, ma chère Catherine, rigole bien avec ton blond et dis à Jean qui fait pas trop de bordées, pour garder ses sous pour la foire, car sûrement que j' s'rai revenue. (Marie)

28 août 1910 : Nouvelles du pays, nouvelle lettre de Catherine


Reine 1911Ma chère Marie, Voilà bien longtemps que j'ai pas pu vous écrire, et pourtant j'en ai des choses à vous raconter. Ainsi que vous me l'avez dit, j'envoie ma lettre à la poste restante, bureau X, pour que Madame voie pas. Je ne sais plus ousque nous allons, ma pauv'e fille…C'est étonnant comme le monde est sangé. Il y a quelques temps, je finissais mettre ma coeffe et alors que je mettais quelques r'ardes à sécher à la fenêtre, voilà que j'entend des bruits et des chants du côté du fauxbourg : Pensez que c'était les femmes des fritures qui faisaient une manifestation. A quoi que ça les avance, au moins, je pense ! Elles allaient par le bras descendant de Névez, en chantant l'Internationale. On aurait dit la retraite, quoi, mais elles avaient l'air d'avoir du goût, et j'aurais bien voulu aller ensemble qu'elles ; ma tante Perrine m'a empêchée. D'abord, elle n'a jamais voulu que j'aille à la friture, je sais bien qu'en travaillant on dit toutes sortes d'orgies mais on n'est pas forcé pour ça de faire des folies de son corps. Et puis ma tante Perrine est une vieille rêveuse.

Pour te finir la manifestation, elles sont allées crier devant Penanros : à l'eau ! à l'eau ! et puis toutes sortes de rêveries quoi ! Y en a qui voulaient travailler, d'autres qui ne voulaient pas. On savait pas quoi faire ! Enfin, ce que tu as lu dans un journal de Paris est bien vrai : Elles gagnent plus maintenant, elles ont aussi le droit de s'asseoir ! Je sais moi ! Elles en ont de la sanche. Pendant ce temps, les soldats étaient toujours là…Y en a qui s'ennuient mais les Marsouins, eux, s'amusent. Tous les soirs chez Caillé (vous savez bien, l'usine en face le Château des rats, l'ancienne usine Chaklard quoi) il y a eu termagie, on dirait de vrais marchands d' jeux ; Ils font concert, phonographes, chants…etc. On y danse même quelques fois. Nous étions bien placé pour voir puisque nous étions à la fenêtre du chef ! aussi on a eu du goût en pagaye. Il y a des filles qui voudraient bien que tous les soldats restent, elles espèrent faire comme celles qui ont trouvé un mari l'an dernier.

C'est pas ça qui nous tracasse puisque depuis longtemps nous avons nos blonds ! allons, ma chère, répondez-moi vite, j'ai hâte d'avoir de vos nouvelles et de savoir si vous viendrez pour les Régates ou pour les "Filets-Bleus", on s'arrangerait pour faire nos noces ensemble à la Foire

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A'revoir, acceptez un baiser de votre consorte. (Catherine)


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