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Thoniers au repos


 

 


« A la Page » chez les pêcheurs bretons

CONCARNEAU

26 février 1931

 

Gare de Rosporden

- Il faut descendre à Rosporden !
- Très bien ! Je descends donc à Rosporden

Après une nuit trépidante sur les banquettes moëlleuses du P : O. Sur l'écran de la portière un film nouveau est projeté. Le granit breton y fait suite à l'asphalte ; les coteaux boisés et verts, aux plaines humides et grises de l’Ile de France. C'est la Bretagne, avec sa mante fourrée d'hiver, inconnue des touristes et des baigneurs, mais qui n'en est pas moins riche et attrayante que le châle de tulle et de brocart dont elle se revêt en juillet et en août.

Les boutiques et les fenêtres de la place de la gare de Rosporden se frottent encore les veux, comme si le sifflet strident du rapide venait de les tirer d'un profond sommeil. Au petit café, où je m'échappe pour venir tromper mon estomac détendu, la jeune servante me rassure sur l'heure

- Ne craignez rien, Monsieur, vous avez tout le temps, dame !... Notre pendule retarde au moins de cinq minutes sur la gare... (Heureusement, par la fenêtre, entre deux réclames pour apéritifs rivaux, je voyais la grosse aiguille me faire signe que, sans hâte, je pouvais me restaurer. N'est-ce pas encore dans cette réflexion toute la Bretagne que je retrouve après plus d'un an de séparation ?


Vue du haut des fortifications

Concarneau l Aucun de nos lecteurs n'ignore ce merveilleux pays blotti dans un cirque de rochers, comme un nid d'albatros. Ville renommée tant par son port de pêche que par le site enchanteur dans lequel, depuis Beg-Meil jusqu'à la ville Close, se groupent ses maisons et ses villas, tantôt roses comme des flamands, tantôt blanches comme des mouettes, tantôt grises comme des goélands, Concarneau fait d'ailleurs souvent parler d'elle. Ses grèves, qui ne sont pas petites ; ses tempêtes, dont furent victimes les thoniers, ne s'effacent pas des mémoires.

Dans un coin de la ville close
Yann Konkernô, le petit gueux
Naquit un soir de printemps rose
Sur un monceau de filets bleus.

Botrel a chanté la dure existence de ce Concarnois. Je le retrouve sur la jetée, accoudé sur la dunette qui nous sépare de la mer. Elle est là, la grande bleue Aujourd'hui, toute grise, elle se fait câline, doucereuse , ensorceleuse. Elle plisse légèrement le front, pour montrer que la houle qui berce peut, demain, se changer en tempête. Elle est bretonne, elle aussi, et n’aime pas qu’on la serve à moitié. « Tout ou rien », semble-t-elle dire aux pécheurs qui la contemplent. - Eh oui ! Monsieur, ce fut terrible. Nous étions là des centaines sur la digue. Il faisait nuit noire. La tempête avait couché les poteaux électriques et c'est dans les ténèbres qu'on entendait mugir, comme de l’enfer, le nom des disparus. Voyez, c'est sur cette pierre qu'un pauvre vieux, des jours et des nuits, attendit son fils. C'est là que votre photographe est venu le prendre et tous vos lecteurs ont pu deviner son chagrin...

Et je l'interroge sur la pêche.


Le thon sur la digue

Ca marche ! ça marche ! On est à époque de la langoustine. Le thon, c'est l'été, et la sardine en mai. Aussi les usines sont, fermées pour le moment. On a fait. 31 millions 500 000 francs de thon cette année. C'est vous dire ! Il est vrai qu'au port de Concarneau tous les pêcheurs viennent vendre : ceux de Lorient et de Groix, d'Etel et de Vannes, de l'Ile d'Yeu et de la Rochelle même. Ici, ils vendent plus cher parce que les usines, mieux agencées, débitent plus et la surproduction n'est pas encombrée... Faut vous dire, d'ailleurs, que nos femmes et nos filles ont la main leste. Le travail ne leur fait pas peur.

- Alors, vous n'êtes pas trop malheureux ?

- Pour ça non, les bonnes années... Que voulez-vous, quand le poisson donne bien en ne se plaint pas trop. On est nombreux pourtant : 950 à 1000 bateaux sont armés pour la pêche au thon. Tous les ans, on part en masse...


Le «  brûle-gueule » s'éteint. Une allumette. Une cigarette et, côté à côte, nous restons silencieux. Il n'a plus rien à me dire. Sa vie, c'est la mer. En dehors d’elle le monde n'existe pas. Seul le ressac de la vague sur les galets alimente son rêve. Sur la petite place, ils sont là, par groupes, par « coteries » comme ils disent En dehors de la pêche, la plupart ne font plus rien : Les mains dans les poches du pantalon, ils se promènent du matin au soir, en quête de gamineries à faire. On joue la boule, aux sous, aux cartes. Le manque d'argent empêche de séjourner trop longtemps à la buvette. Quand le journal arrive, un du groupe fait la lecture. En passant près d’eux je remarque que la page des crimes passionnels, des aventures louches, les retiennent davantage. Je passe aux yeux de tous ces sympathiques garçons, pour une sorte d'énergumène, pour un touriste malade, qui ne s'est trompé que de six mois pour la saison.


Dans un coin de « la ville close », deux maisons vont attirer mon attention : l'Ecole de pêche, où se forment les futurs patrons, et l'Abri du marin. Un aimable correspondant de l' Ouest-Eclair me conduit à la première ; l'abbé Rolland, le directeur du « patro », me mènera visiter la seconde.

Dans une vieille maison; qui fait corps avec les remparts, au milieu des engins, des cadrans, des cordages et de tous les instruments de bord, une quinzaine de mousses entourent le maître, qui accueille A la Page avec bonté et sympathie.

Je viens parler aux jeunes de votre œuvre et surtout je viens féliciter, au nom des 200 000 lecteurs d'"A la Page", Rioual, Tanguy et Jaouen. Rioual, Tanguy et Jaouen, trois jeunes que vous connaissez : Trois mousses décorés du Mérite maritime pour leur conduite héroïque lors du sinistre de septembre. Le premier, vous le savez, a tenu la barre pendant un jour, alors que le bateau était désemparé. Les deux seconds ont vu la lame venir chercher leurs pères et ces derniers mourir sous leurs yeux. Malgré cela, ils sont restés forts et fermes dans le malheur. C'est pourquoi la grosse commerçante concarnoise qui me rendait de la monnaie avait tort de me dire

- Ah ! Vous les jeunes ! Vous voulez ne rien faire et être heureux tout de même … Elle avait tort. Et mon cicérone me souffla :

- Ne vous en faites pas, c'est une Brestoise. Cela ne fait rien, J'étais tout de même heureux de voir que nous, les jeunes, ne passions pas inaperçus, même à Concarneau. Je fus doublement heureux, le soir, au « patro ». L'abbé est un « type à la page  » plein d'idéal, et le peu de temps que nous sommes restés ensemble a suffi pour me montrer de quel bois il se chauffait et quelle flamme animait son jeune apostolat.


Travail du thon à l'usine

Cet idéal, il le communique à ses jeunes, presque tous des sportifs, étonnés d'abord de voir qu'A la Page ne consacrait que deux pages aux sports, mais convenant parfaitement avec moi que le sport n'est pas toute la vie. C'est un moyen et non une fin. C'est un stimulant qui peut permettre de se maintenir en bonne forme pour bien travailler et surtout donner à la cause sociale toute son activité. Il y a fort à faire. Il y a tout à faire à Concarneau dans la masse des pêcheurs. .Hier soir, une grande réunion communiste se tenait aux Halles. Si vous saviez la dose d'ineptie qui fut avalée comme du petit-lait, vous comprendriez quelle besogne reste à faire aux jeunes. On est allé jusqu'à faire applaudir des « jus » de ce genre :

- Oui, pêcheurs ! c'est à regretter les rois. Du temps de Louis XIV la pêche était libre, au moins. Maintenant, il faut que les patrons payent 2 du 100 pour l'entretien du port. Et rien à dire dans cette salle où tout le monde se connaît et où, de parti pris, tout ce qui sent l'ordre et la raison est par avance rejeté. Le vaillant président des Jocistes de Concarneau, dès son entrée dans la salle, fut repéré et ma foi, dut se contenter d'écouter. Mais il en a fait son profit et est sorti, j'en suis sûr, plus convaincu encore qu'il suffirait à Concarneau de trois ou quatre types à cran, des catholiques non pas à l'eau de rose, mais intégralement catholiques, pour remettre les valeurs en place. Et .je suis convaincu que, là comme ailleurs, avec l'aide d' "A la Page", ils y arriveront.

Place aux jeunes ! Et dans le port, quand vous reviendrez, vous ne verrez plus s'entrechoquer les deux coques des thoniers Lénine et Général de Castelnav. Un progrès, d'ailleurs, est à noter. Un pas en avant a été fait, puisque le Lénine est dirigé par un patron catholique.


Dans le coin de Concarneau, la dure race bretonne ne périra pas. Le communisme y est en baisse. Ce n'est déjà plus qu'un mot et nous serons heureux de constater, d'ici quelques années, les heureux progrès de la J. 0. C, de la J. M. C. et du syndicalisme chrétien.

MICHEL GUY